jeudi 21 novembre 2019

Chapitre 14

L’après-midi touche à sa fin lorsqu’Earon et Myrtille quittent la maison. Pour éviter de se faire repérer, Earon s’éloigne vers le Temple, la laissant rentrer seule chez les Gris. N’ayant pas son masque sur elle, Myrtille garde la tête baissée et avance d’un pas rapide jusqu’à la ruelle. Arrivée devant la porte, elle serre vivement les poings en inspirant profondément pour combattre la légère appréhension qu’elle ressent. Elle ferme les yeux quelques instants et se concentre pour afficher un air neutre avant d’entrer.
Voyant que personne n’est encore levé, elle referme doucement la porte. Elle met quelques secondes pour s’habituer à l’obscurité de la pièce. Depuis longtemps, le clan des Gris forestiers applique des mesures drastiques pour vénérer le dieu Sombre et leurs missions. Ils s’imposent une vie d’obscurité pour côtoyer les Ombres au plus près. Ils dorment donc la majeure partie de la journée et ne sortent que la nuit. Ils ont recouverts toutes les fenêtres avec de très épais rideaux noirs pour qu’aucun rayon de soleil ne pénètre dans la maison et portent des masques aux visières teintées lorsqu’exceptionnellement ils sortent de jour.
Lorsque le premier Gris se réveille, il est chargé d’allumer les bougies au rez-de-chaussée. N’en voyant aucune, Myrtille se déplace doucement dans la pièce pour trouver de quoi les allumer. Elle la connait assez bien aujourd’hui pour ne pas se prendre les pieds dans un meuble mais elle garde quand même les mains tendues devant elle pour éviter les surprises.
Cela fait longtemps qu’elle n’a pas été la première levée, elle est rassurée de voir qu’ils ont gardé les mêmes emplacements pour éclairer la pièce. Elle secoue la tête pour faire fuir ce pincement au cœur provoqué par le souvenir de son enlèvement pendant qu’elle allume la première bougie. La lumière dansante de la flamme chasse cette pensée très vite.
Elle fait le tour des bougeoirs calmement. Ce simple geste lui donne l’impression de se réapproprier les lieux. Les fantômes et mauvais souvenirs qui rôdaient encore dans cette maison sont lentement chassés par la douce lumière des bougies. Elle est chez elle. Elle est rentrée. Elle est en sécurité.

Le cœur battant, Myrtille repose le premier bougeoir à sa place et profite d’être encore seule dans la pièce pour l’observer afin de la mémoriser. Elle ne s’était jamais sentie autant chez elle qu’entre ces murs. Ce sentiment profond efface considérablement le malaise qu’elle a pu ressentir ces derniers jours lorsque les souvenirs de son combat perdu ici lui revenaient en mémoire. Elle sourit doucement et attrape une pomme dans la corbeille de fruits avant de s’asseoir à table.
Elle en mange la moitié avant de ressentir un léger haut le cœur. Les bruits familiers de Steven se réveillant descendent des étages au moment où Earon ouvre la porte. Elle lui indique d’un signe de tête les étages en haussant les épaules. Il hésite un instant puis se décide à entrer. Steven descend les escaliers avec son habituelle discrétion qui fait grogner leurs frères dans leurs chambres. Myrtille sourit doucement, amusée. Earon prend une pomme à son tour dans la corbeille et se dirige à sa place habituelle contre le mur sous l’escalier.

Lorsque Steven les aperçois, il les salut d’un vague signe de tête tout en se frottant les yeux.

« Ha, j’avais pas envie de devoir allumer en bas, merci.
- Pas de quoi.
Répond Earon à la place de Myrtille. Celle-ci sourit un peu plus avant de se forcer à croquer dans le reste de sa pomme. Steven s’arrête et les regarde un à un.
- Vous avez pas dormi ici vous deux, j’ai pas entendu votre porte grincer.
Myrtille plonge le nez dans sa pomme en se retenant de rire lorsqu’elle remarque la brusque gêne d’Earon devant l’affirmation du jeune-homme. Il se masse la nuque en haussant une épaule.
- Tu ronflais tellement fort, To’Eni, que tu n’aurais même pas entendu les cris d’une attaque sur la brèche.
Intervient Sengal du haut des escaliers. Steven rentre sa tête dans ses épaules, marmonne quelques mots et préfère quitter la maison en haussant les épaules.
- Nous t’avons amené du bois pour tes flèches To’Nam’Sa.
Dit-il en descendant les marches. Elle se tourne vers l’atelier qu’indique Sengal où un petit tas de bois attend sagement d’être travaillé. Elle incline la tête vers lui, touchée par cette attention et ravie d’avoir quelque chose pour s’occuper les mains et l’esprit.
- Maino.
Sengal incline la tête en retour.
- Je suis rassuré de voir que certaines tensions t’ont quittées.
Elle baisse son regard sur sa pomme pour dissimuler son trouble. Elle n’y parvient sans doute pas aussi bien qu’elle l’espérait car Sengal sourit doucement avant de se tourner vers Earon qui ne fait pas meilleure figure.
- Nam’sa Tsalmaveth est rentrée pendant ton absence la nuit dernière. »
Earon relève la tête vers Sengal puis vers l’étage supérieur. Myrtille ne peut s’empêcher de regarder le plafond à son tour. Elle baisse rapidement les yeux avant qu’ils ne la remarquent.

Elle laisse son esprit vagabonder quelques instants pour calmer ce besoin de monter la voir. Luttant contre un nouveau haut-le-cœur, elle se force à terminer sa pomme. Ses frères descendent un à un et bientôt la pièce est remplie de discussions diverses. Elle sourit doucement, profitant de ce brouhaha diffus pour laisser ses pensées aller et venir. Elle se souvient de ce qu’Earon lui a raconté sur Tsalmaveth et son talent chamanique. C’est elle qui lui avait fait faire le M’Zabibu pour aller chercher l’âme de Steven dans le royaume des Ombres. Il était mort. Earon s’est porté volontaire pour le retrouver. Myrtille n’a pas les détails de ce qu’il s’est passé pendant ce rituel. Steven est revenu, Earon aussi mais pas seul.
Elle secoue doucement la tête, balayant inconsciemment cette information de son esprit. Ce qui lui importe le plus ce n’est pas son rapport avec les ombres mais plutôt ses dons de guérison et de chamane. C’est la seule chamane autorisée à fréquenter les Gris Forestiers et bien la seule avec qui Alpharius discute de temps à autre. Elle n’avait croisé Tsal’ que quelques fois avant son enlèvement et elle l’apprécie beaucoup mais elle hésite encore à lui parler de certaines choses.
C’est pourtant bien la seule qui pourrait l’aider à ce sujet. Sentant le regard d’Earon posé sur elle, Myrtille cesse de se mordiller la lève inférieure et cherche des yeux son masque.

Elle se lève pour aller le chercher sur l’atelier avant de quitter la maison en l’enfilant. Lorsqu’elle passe la porte, Steven se laisse tomber d’une ruine proche.

«  Tu vas ou ?
Elle se passe une main sur le ventre, réprimant un haut le cœur avant de répondre calmement :
- Méditer et m’occuper.
- Allons-y alors, ça me va.
Steven passe son arc à son épaule. Myrtille se gratte la nuque, gênée.
- Tu comptes me suivre ?
- Ouaip. »

Elle hausse les épaules, grimaçant de douleur à cause de cette épaule mal remise. Elle suit Steven vers le Temple, ne pouvant s’empêcher de repenser à ce qui l’a poussé à se mettre en danger, allant jusqu’à se blesser l’épaule, pendant sa période de méditation. Cette douleur lui rappelle à chaque fois le choix qu’elle devait y faire et qui l’a conduite jusqu’ici aujourd’hui.

 « Les Ombres sont un chemin dangereux, tu dois ôter tous tes doutes afin d’être sûre de ton choix, je te conseille même de méditer plusieurs lunes pour ça. »

Earon lui avait conseillé de partir, elle avait suivit son conseil. Elle avait laissé son vieil arc fabriqué avec ses sœurs dans la maison des Gris avec ses flèches, pris quelques plantes et avait quitté la Brèche. Elle avait trouvé un bon coin pour s’installer, dans une vieille maison abandonnée au-delà des montagnes entourant Vedasq. Une sorte de petite vallée jaunie par l’automne au creux d’une montagne à au moins un jour de marche de la ville. Assez loin pour ne pas croiser quelqu’un qui pourrait la reconnaître et assez près pour revenir rapidement en cas de danger.
 Ayant passé les deux premiers jours à se fabriquer un arc et des flèches, elle avait pu ensuite chasser pour se nourrir. Une seule flèche à la fois, si elle loupait la cible c’est qu’elle ne devait pas manger. C’était un exercice à la fois physique et mental, elle ne faisait plus qu’une avec son arc et sa flèche.
Un matin de chasse, elle voit au sommet d’une montagne de la véritable menthe sauvage qui pousse là-haut. Elle décide de monter en cueillir un brin pour Earon. Arc à l’épaule, corde à l’autre, elle grimpe le flanc pendant toute la matinée. Le Brin en main, son cœur palpite d’avance de voir la surprise d’Earon. Elle le pose bien soigneusement dans sa sacoche et se penche par-dessus la falaise pour jauger sa descente.
Son pied glisse et elle chute dans un cri étonné. A mi hauteur, elle s’écrase dans un arbre. Son corps glisse entre les branches mollement, son sac à dos s’accroche à l’une d’entre elle et son épaule craque dans un bruit sec qui résonne, la tirant de son état à demi-sonné. Son bras droit est maintenu en l’air par les branches entrelacées, comme pour l’empêcher de chuter, son épaule lui fait si mal que sa tête devient brumeuse. Elle gigote, tentant de poser ses pieds sur une branche solide, la douleur lui coupe le souffle mais elle y parvient au bout de plusieurs essais.
Son bras est maintenant tiré en arrière, les larmes lui montent aux yeux, elle retire son sac à dos et coupe la lanière bloquée sur son bras droit, retirant le poids en trop. Le sac tombe et s’écrase vingt mètres plus bas. Elle frissonne, pensant à l’état de son corps si cet arbre n’avait pas été là.
Myrtille secoue la tête, il lui faut vite se détacher de l’arbre avant de mourir de faim ou de soif ou devenir la cible de n’importe quoi qui traîne dans les environs. Elle retire son bras gauche et sa tête de son pull puis s’accroche au tronc pour tirer son bras hors du vêtement. Son cri résonne contre la pierre. Le bras tombe contre elle, Myrtille pose son front contre l’écorce, elle est en nage. La douleur est insoutenable. Elle continue cependant à agir, tirant sur le vêtement pour le récupérer, le tissu se déchire mais le pull tombe sur ses genoux.
Elle l’attache autour de son bras puis autour d’une branche. Elle fait basculer son buste en arrière, l’épaule craque à nouveau et se remet en place. Elle tâtonne pour vérifier l’état de son bras. Une belle éraflure couvre son avant bras et l’épaule n’est pas vraiment bien remise mais elle peut bouger le bras et les doigts. 

Il lui faudra la fin de l’après-midi et le début de la nuit pour toucher enfin la terre ferme et récupérer ses affaires et son arc qui, par chance, n’a pas été brisé par la chute. Elle relève la tête vers le haut de la montagne et l’arbre au milieu de sa course. Le brin de menthe au creux de sa paume, elle ferme les yeux quelques secondes. Son choix est fait. Elle rejoindra les Gris dès son retour.

Steven ne l’accompagne pas dans le temple, il n’a pas besoin de se purifier. Il monte à la tour de garde entre le temple et l’arène, en allume la torche et s’installe pour monter la garde. Myrtille inspire, entre dans le temple jusqu’au fond derrière le rideau. Le feu s’éteint presque, elle rajoute deux bûches avec de la sauge. L’odeur emplit la pièce pendant que les flammes montent de plus en plus haut, léchant le bois. Myrtille s’assoit en tailleur. Elle ferme les yeux et se concentre sur sa respiration. Elle tente de se focaliser sur de bons souvenirs pour calmer sa nervosité. Le Conseil nashen se déroule le lendemain soir et le cas de Dampen y sera évoqué. Elle serre rapidement les poings sur ses genoux pour garder le contrôle de ses émotions. Elle revoit alors rapidement le visage d’Earon lorsqu’il lui a promis de la venger avant de sombrer brusquement dans un sommeil profond.

Des cris. Myrtille rouvre les yeux, la nuit touche à sa fin, elle n’est plus dans le temple. Les flammes de la torche lui brûlent les yeux, elle met sa main devant et remarque le sang sur ses doigts. Elle regarde autour d’elle. Elle se tient sur la tour de garde, Steven est assis à ses pieds contre la torche. Sa main droite lâche le couteau par-dessus la plate forme. Il tombe dans un bruit sourd, couvert par l’herbe. Steven lève les yeux vers elle, elle ne voit pas l’expression de son visage sous son masque. Il ouvre les doigts, le sang coule de sa hanche droite.
Myrtille tombe à genoux devant lui, secouant la tête, elle tente de poser ses mains sur sa blessure mais Steven recule. Elle lève les mains pour lui montrer qu’elle ne lui veut aucun mal. Elle ne comprend pas ce qui s’est passé. Quelque chose coule le long de son menton, elle s’essuie avec sa manche et voit le sang dessus. Elle vient de boire celui de Steven. Effrayée, perdue, dégoûtée, elle saute de la tour pour vomir puis court chercher de l’aide chez les Gris.

Elle tombe sur Sengal et Zeven avant d’arriver à la maison. Le sang sur son haut, son visage apeuré et ses mots paniqués leur font vite comprendre que quelque chose cloche. Ils la suivent à la tour de garde. Steven n’a pas bougé. Sengal se penche sur lui, la blessure n’est pas trop grave, il prépare sur place une pâte à base de racines qu’il applique sur la blessure. Le sang a cessé de couler, Steven retrouve peu à peu ses esprits. Il parvient à se lever, soutenu par Sengal. Myrtille fait les cents pas au pied de la tour, tentant de comprendre ce qu’il vient de se passer. Comment a-t-elle pu ne pas se souvenir de ce qu’elle vient de faire ?

« Que c’est-il passé ? Demande doucement Sengal une fois qu’ils sont tous descendus de la tour.
Steven regarde Myrtille qui se mord la lèvre, paniquée. Il hausse les épaules.
- Je sais pas, une flèche sans doute. Qu’as-tu vu Myrtille ?
Ils se tournent tous vers elle, elle lève les mains.
- Je n’ai rien vu, tu l’as sans doute retiré avant que j’arrive.
- Sans doute… »

Ils accompagnent Steven dans la maison pour qu’il se repose. Myrtille voit son couteau dans l’herbe, elle le ramasse. La lame est pleine de sang. Son bras l’approche de ses lèvres, son cœur s’emballe, l’odeur enivrante lui fait tourner la tête. Elle se secoue et jette l’arme par-dessus la haie. Elle repose les doigts sur son menton où coulait le sang de Steven quelques instants plus tôt et réalise qu’elle ne porte plus son masque.
Les premières lueurs du jour illuminent le ciel. Elle le cherche rapidement, tentant de refaire le chemin inverse qu’elle a pu faire pendant son moment d’absence. Il faut qu’elle comprenne. Elle le retrouve jeté entre deux bancs dans l’allée du Temple. En le ramassant pour le remettre, elle se souvient de sa première rencontre avec Earon. Une rencontre bien étrange qui lui a ouvert la porte sur le monde des Ombres à jamais.

Elle sort de la Brèche pour faire un tour avec sa sœur et une amie à elle. Suzaane veille toujours sur sa tour, guidant les nouveaux éveillés que lui envoi Vicodyn, le doc, vers la Brèche. Elles marchent vers le doc pour cueillir les plantes qui foisonnent autour de son domaine. Un impur arrive sans prévenir et tire quelques flèches sur le groupe. Myrtille ne sachant pas encore trop se servir de son arme, elle se rend avec sa sœur et leur amie. Le fondateur ne la regarde même pas, il attache Lissana et leur amie pour les emmener à leur poste avancé.
Myrtille reste un moment allongée au sol, le regard posé sur le ciel. Elle sent encore ce sentiment de faiblesse l’assaillir. La peur s’estompe peu à peu, faisant place à de la colère envers ce Fondateur et également envers elle-même de n’avoir rien tenté.
Elle se lève et fonce aussi vite qu’elle le peut pour aller chercher de l’aide. Elle rencontre un jeune homme et est sur le point de l’emmener là où sa sœur s’est fait attaquer quand un homme masqué et armé d’un couteau leur barre la route. Il semble perdu, s’approche d’elle, brandissant son arme. L’insigne Nashen sur sa poitrine la rassure, son instinct lui dit même de ne pas avoir peur. Cependant, la colère provoquée par l’attaque précédente la pousse à l’affronter, celui-là. Elle ne recule donc pas quand il place sa lame sous sa gorge, réclamant du sang. Elle écarte même les bras, relevant la nuque dans un air de défi. Son cœur bat la chamade, faisant pulser le sang dans ses oreilles mais elle ne bouge pas. La lame contre sa peau tremble un peu avant de reculer.
Elle baisse lentement les bras, tentant de comprendre ses propres gestes totalement suicidaires. Il réclame à nouveau du sang d’une voix légèrement troublée. Ne relevant pas, elle lui indique l’endroit où le fondateur est parti, il ne se fait pas prier et disparaît dans la nuit.
Elle regarde son arc et baisse les épaules. Elle ne serait pas efficace si elle tentait maintenant de sauver sa sœur. Ils rentrent donc à la Brèche et le jeune homme file s’occuper de ses affaires sans faire de commentaires sur le comportement de la jeune femme. Myrtille s’assoit face au feu.
L’homme étrange revient et s’arrête non loin d’elle, sa lame toujours en main. Elle tourne la tête vers lui. Ses cheveux noirs tombent autour de son masque de traqueur, sa corpulence sèche lui donne un aspect tranquille mais sauvage. Il est sans nul doute du genre à savoir s’éclipser sans se faire remarquer.

« Vous avez eu le sang que vous vouliez ?
- Non… Enfin si… Un impur.
- Ca n’a pas l’air de vous satisfaire…
- C’est que… C’est du sang d’impur quoi.
Myrtille ressent comme une intuition, un instinct qui lui dit que quelque chose ne va pas chez cet homme. Le ton qu’il emploi ressemble à celui d’un enfant. Si elle avait écouté ses sœurs, elle n’aurait sûrement jamais agit comme elle va le faire.
- Venez, je crois que j’ai une idée.
Elle se lève et contourne quelques maisons pour aller près des petits feux à l’abri des regards indiscrets. Elle se retourne face à lui, sort son couteau puis relève son gant gauche sur sa paume.
- C’est du sang pur qu’il vous faut.
- Qu…quoi ? Non ! Je ne pourrais pas, To’Sa. Non.
Elle ne lui laisse plus trop le temps de protester, elle tranche son poignet là où elle sait que ça ne la blessera pas gravement. Elle lève le poignet ouvert et lui tends.
- Allez-y.
Il secoue la tête mais elle sait qu’il fixe son poignet. Il pose ses doigts autour de la blessure, soulève un peu le masque et porte ses lèvres au sang qui goutte. Lorsqu’il aspire le liquide vermeil, elle ressent un frisson lui parcourir l’échine. Il boit pendant de longues secondes puis repousse son poignet.
- Qu’est ce que… Je…
Il s’effondre assis au sol comme sonné. Myrtille recule et bande la plaie. Elle reste là, silencieuse. L’homme s’endort à moitié, elle l’entend marmonner puis il relève la tête. Il la salue comme s’il ne l’avait jamais vue, elle répond à son salut par habitude, pourtant un peu troublée.
- Pardon je… Qu’est ce que je fais là ?
Il regarde tout autour de lui et se lève d’un bond.
- Je suis à la Brèche ?
- Oui. Vous ne vous souvenez de rien ?
Elle cache son poignet dans son dos. Il secoue la tête, lève les yeux vers le ciel.
- Il fait nuit…
- Oui, depuis peu.
- Quel est votre nom ?
- Myrtille.
- Et bien, j’imagine que je dois vous remercier, Nam’Sa Myrtille pour cette nuit.
Elle resserre sa queue de cheval, légèrement troublée.
- Ah… Si vous le dites. Et vous ?
- Moi ?
- Votre nom.
- Oh, oui. Earon.
- Enchantée. Mais… Vous dites que c’est votre première nuit c’est bien ça ?
- Depuis longtemps, en quelque sorte, oui. Voulez vous en profiter dans une petite chasse avec moi ?
Elle regarde son arc puis repense à sa sœur.
- Pourquoi pas ! »

Ils ont passés la nuit à faire le tour de Vedasq et à discuter. Elle apprend bien plus tard que la première personne qu’elle a rencontrée n’était pas Earon mais Norae, son Ombre Gardienne. Myrtille se masse le poignet. Elle a maintenant trois cicatrices sur chaque poignet, preuve du nombre de nuits qu’elle lui a offert avant qu’ils comprennent comment arranger les choses. Même si la façon utilisée était un peu risquée et qu’elle a failli coûter la vie à trois Gris. Un long frisson lui parcours le dos, elle relève la tête vers la tour de garde avant d’entendre dans son dos :

« Myrtille ? Ca va ?
Elle se retourne pour se retrouver face à Earon. Elle secoue la tête, se mordant la lèvre.
- Non… Je ne crois pas.
- Suis-moi. 
Il indique le toit d’un signe de tête. Elle hoche la tête et lui emboîte le pas. Une fois en haut à l’abri des oreilles indiscrètes, elle s’assoit près de lui mais garde le silence. Il la fixe longuement.
- Ni’Luna, Kita’ni…
- Ne t’inquiète pas pour moi… Tu sais que j’ai horreur de ça.
- J’ai mes raisons.
- Lesquelles ?
- Premièrement tu es blessée, deuxièmement tu t’es fait enlevée et je t’ai crue morte, troisièmement tu as du sang sur les mains.
Elle ouvre la bouche puis la referme et grogne en frottant inutilement ses mains sur son pantalon.
- C’est celui de Steven.
- Je sais.
Il pose tendrement ses mains sur les siennes pour qu’elle cesse de les frotter.
- Tu en as bu ?
Elle le regarde vivement puis baisse la tête.
- Je ne sais pas, j’imagine que oui. Je ne me souviens pas. Tu…tu crois que… ?
- Sans doute. Ou bien c’est la pente, tu es descendue très bas pendant ton séjour chez les fondateurs. Ce n’est qu’un contre coup peut-être.
- Je l’espère… S’il te plait Ni’Aya, ne dit rien. N’en parlons plus. »

Il garde le silence mais l’entoure de ses bras. Myrtille préfère fermer les yeux, espérant que c’est bien ce qu’il dit. Elle refuse de passer là où il est passé.
Lorsqu’elle est entrée et qu’elle a vu Earon au sol, maintenu par Zeven et Sengal répétant les mots rituels, Norae lui criant qu’ils tuaient Earon en le retirant de son corps, le sang partout… Elle frissonne.
Il l’embrasse sur le front et resserre ses bras autour d’elle. La boule au fond de son estomac se fait plus lourde, un cri résonne dans sa tête. Elle ferme les yeux, se concentrant sur les bras d’Earon. Le cri finit par disparaître. Elle fixe le ciel en silence. Et si ce n’était pas qu’un contre coup de la pente, finalement ?

samedi 10 août 2019

Chapitre 13


Myrtille relève la tête lorsqu’elle entend les pas rapides d’Earon dans l’escalier. Il marque un léger temps d’arrêt devant la porte avant de passer sa tête pour vérifier si elle est toujours là. Elle sourit en fixant la visière de son masque. Elle repose son menton sur ses genoux en le regardant entrer dans la chambre. Pendant son absence, la pièce n’a pas cessé de se rafraîchir. Elle s’est emmitouflée dans le drap fin comme elle a pu et garde ses mains au chaud.
Il s’approche du lit pour y déposer son sac à dos et en sort rapidement une des couvertures de leur chambre qu’il pose directement sur ses épaules. Il vide le reste de son sac et leur installe peu à peu une atmosphère chaleureuse : la deuxième couverture est pliée devant Myrtille ; les bougies sont allumées et disposées un peu partout dans la chambre ; le maigre repas est installé sur un meuble à côté du lit.
Elle l’observe déambuler dans toute la chambre et devine sa légère timidité. Elle sourit en remarquant les mêmes gestes que lors de leurs premiers rendez-vous secrets. Il se relève souvent et regarde tout autour pour vérifier que tout est bien en place puis se masse la nuque lorsqu’il la regarde avant de retourner déplacer une bougie. Il fixe la fenêtre quelques instant, quitte la pièce pour fouiller d’autres chambres et revient avec un long rideau sombre. Il l’accroche comme il peut devant les vitres, dissimulant les lumières de leurs bougies aux curieux.

 Après diverses vérifications pour que tout soit impeccable, il redresse ses épaules et retire son masque. Ses gestes mesurés indiquent une tentative de maîtrise émotionnelle. Il le dépose loin du lit avant de se tourner vers elle. Un très long frisson la parcourt. Il ne compte pas le remettre de si tôt. Elle lève les yeux vers son visage.

 La lumière diffuse et dansante des bougies lui donne un air encore plus doux. Ses cheveux noirs dissimulent presque ses yeux de chaque côté de son visage. Il les laisse toujours pousser jusqu’à son menton pour qu’ils puissent cacher la marque s’il ne porte pas de masque. Il porte une barbe de quelques jours qui entoure son sourire timide. Le cœur battant, elle se redresse légèrement et se force à quitter des yeux ses lèvres pour les remonter sur ses pommettes dures à la peau légèrement basanée. Elle se mord inconsciemment la lèvre inférieure lorsqu’elle plonge son regard dans le sien.

 Earon expire longuement. Lui aussi, il observait son visage à la lumière des bougies.
Il prend toujours le temps de la détailler lorsqu’il le peut. Il peut y lire comme dans un livre toutes les émotions qui la submergent. Sa peau d’habitude pâle est bien plus bronzée depuis son séjour au Compas. Ses traits sont également plus marqués. Cela ne fait qu’une dizaine de jours qu’elle est revenue, elle n’a pas encore totalement récupéré. Ce détail réfrène un peu ses envies. Il baisse rapidement les yeux sur son attelle puis se force à les relever.
Lorsqu’il parvient à faire abstraction de ces petits détails lui rappelant ces derniers mois difficiles, son cœur s’emballe. Son air serein l’enveloppe et le rassure. Il lui sourit en retour. Son souffle se coupe lorsqu’il remarque l’éclair dans ses yeux qui fait écho à sa propre envie. Il caresse du regard ses cheveux violets tombant en de fines boucles autour de son visage avant de remarquer ce geste qui lui provoque un doux frisson.
Elle se mordille doucement la lèvre inférieure tout en le regardant fixement dans les yeux.

 Earon comble la distance qui les sépare tout en retirant ses gants. Il les pose sur un meuble en passant avant de s'asseoir en face d’elle sur le lit. Myrtille se redresse et s’assoit en tailleur tout en gardant la couverture sur ses épaules. Il ne la quitte pas des yeux, levant doucement sa main pour attraper cette mèche rebelle devant son visage. Il la fait glisser entre ses doigts avant de lui replacer derrière l’oreille. Il affiche un léger sourire au frisson que cela lui provoque et aux émotions qu’il voit passer dans son regard. Son propre cœur est sur le point d’exploser. Il glisse sa main derrière sa nuque pour l’attirer vers lui avec douceur, pose son front contre le sien et ferme les yeux.

 « Lanito, Ni’Luna. »

 Murmure-t-il simplement. Ce mot secret pour lui dire ce qu’il ressent. Elle expire longuement, il sent son souffle courir contre sa peau. Il frissonne et la sent frissonner au même moment. Il sent ses doigts frais se poser sur son cou, son pouce caresser sa joue tendrement. Le monde autour de leur chambre disparaît, effacé par ce simple mouvement.

Myrtille a fermé les yeux lorsqu’elle l’a entendu murmurer ces mots. Son cœur a loupé un battement au son de sa voix brisant le silence. Elle n’avait entendu que les battements de son cœur, leur respiration et les légers bruits provoqués par le frottement des vêtements ou le craquement du lit lorsqu’elle bougeait.
Son murmure et ses mots résonnent en elle au plus profond. Il achève de détruire les barrières derrière lesquelles elle s’est cachée depuis son retour. Ils s’étaient déjà parlés mais elle avait maintenu cette distance qu’il vient de combler ce soir en utilisant ce simple code qu’ils ont entre eux. Son cœur bat de plus en plus fort. Elle est incapable de lui répondre, ses émotions lui nouent la gorge. Elle expire longuement et frissonne en même temps que lui. Plus rien n’existe, ils sont seuls, ils sont ensemble. Il n’y a pas d’ombre ni de fantôme.

Elle passe sa main dans son cou, caresse tendrement sa joue avec son pouce. Elle n’a pas besoin d’ouvrir les yeux pour ressentir la tension qui l’habite également. Elle ne réfléchit plus, laissant ses émotions prendre le pas sur tout le reste. Myrtille penche la tête pour déposer un baiser timide contre ses lèvres puis un second, plus téméraire.

Il tressaille imperceptiblement, resserrant sa main dans sa nuque. Il l’attire un peu plus contre lui en l’embrassant à son tour. Elle se met à genoux en suivant son mouvement. Il l’enlace comme s’il ne voulait plus jamais la lâcher. Elle niche son visage au creux de son cou, son souffle rapide lui fait totalement perdre la tête. Il embrasse ses cheveux puis son front, glissant ses doigts sous son menton pour lui faire relever la tête et pouvoir à nouveau goûter ses lèvres.
Il la sent frissonner entre ses bras, sa main s’accroche à sa veste, un léger sourire flotte sur ses lèvres lorsqu’il l’entend gémir doucement contre sa bouche. Myrtille est la seule avec qui il est allé si loin. Découvrir qu’il pouvait la rendre folle en quelques gestes l’a toujours rendu fier de lui. Il ne compte pas s’en priver ce soir.
Il ne se laisse pas envahir par ses pulsions et tente de garder le contrôle sur ses émotions et ses envies pour lui permettre de savourer pleinement cette nuit. Il souhaite profiter de chaque instant lui aussi. Sentir chacun de ses soupirs contre sa peau, entendre chacun de ses sons et observer sans pudeur sa femme blottie contre lui.
Il a besoin d’exorciser toutes les minutes qu’il a passé loin d’elle et de balayer cette peur de ne jamais la retrouver. Il veut lui montrer l’amour qu’il ressent pour elle et leur faire ressentir la vie dans sa plus belle puissance.

Le souffle court, il quitte enfin ses lèvres pour l’observer encore, prenant entre ses doigts cette mèche de cheveux. Son regard pétillant le dévore, faisant accélérer encore plus les battements de son cœur. Il sourit en écho à son propre sourire magnifique et glisse son pouce sur ses lèvres. Earon prend une grande inspiration lorsqu’il ressent le frisson de Myrtille, son invitation silencieuse. Il glisse ses doigts le long de sa mèche et la passe derrière son oreille tout en frôlant sa peau légèrement. Elle ferme les yeux, savourant la tendresse de son geste avant de tourner doucement la tête pour embrasser sa paume.
Il ferme les yeux à son tour pour contrôler son envie, serrant les dents quelques instants. Il caresse sa joue blottie contre sa paume du bout de son pouce pour garder ce contact avec elle. Il sent alors les doigts de sa main droite venir dégager doucement ses cheveux du côté gauche de son visage. Il ré-ouvre immédiatement les yeux pour y chercher la honte et le dégoût dans son regard, comme à chaque fois qu’il dévoile cette partie de son visage. Il n’y voit rien de tout ça dans ses yeux. Elle ne lui transmet que son amour, le dévorant des yeux tel qu’il est, avec toute sa patience qui la caractérise vis-à-vis de son acceptation de lui. Cette sérénité déteint sur lui et ralentit ses ardeurs. Il lui sourit timidement, comme chaque fois qu’elle lui montre qu’elle l’aime tel qu’il est et non tel qu’il se montre aux yeux du monde.

Myrtille sourit puis referme les yeux lorsqu’elle voit qu’elle a obtenu l’effet recherché. Elle a très bien compris ce qu’il a en tête et souhaite elle aussi prendre son temps. Elle veut sentir la vie et la sécurité qu’il lui offre dans toute leur splendeur. Sans leurs masques, ils n’ont presque plus besoin de mots pour se parler. La tendresse de ses gestes et son regard déterminé lui ont suffit. Lorsqu’il s’est crispé sous l’effet de son envie, elle a su comment lui transmettre son calme, comme à chaque fois.
Elle en meurt d’envie également mais elle sait faire preuve d’une énorme patience et cela l’avantage beaucoup. Elle a besoin de lui montrer combien il lui a manqué. Elle veut lui faire comprendre qu’elle a toujours cru en lui et que ce jour arriverait malgré ce moment où elle a décidé d’en finir. Elle souhaite effacer cette image de leur esprit à tous les deux. Cela prendra du temps, certes, mais ce soir ils oublieront tout ça. Ce soir, ils ne sont que mari et femme, seuls dans leur bulle. Cette idée surpasse tout le reste et lui permet de prendre son temps.

Elle blottie à nouveau sa tête contre la paume de sa main quelques secondes avant qu’il ne la glisse délicatement dans sa nuque. Dans un même mouvement, elle glisse sa main droite derrière son oreille avant de passer totalement son bras dans son dos pour donner plus de force à leurs lèvres qui se rencontrent. La couverture tombe de ses épaules mais elle ne s’en préoccupe pas, il lui transmet assez de chaleur pour qu’elle ne sente même pas le froid. La main gauche d’Earon descend le long de sa hanche puis remonte sous son t-shirt pour la coller contre lui. Elle sent les battements puissants de son cœur contre le sien, son souffle lorsqu’il descend pour embrasser son menton puis son cou jusqu’à la base de sa poitrine là où le tissu couvre sa peau.
Du bout des doigts présents sous son t-shirt, il la frôle juste à la limite de cette zone sensible tout en déposant de très légers baisers juste au dessus du tissu. Elle ne peut retenir un léger grognement de frustration tout en posant sa tête sur la sienne. Elle retient de justesse un mouvement de son bras pour ne pas le pousser à aller plus vite.

Earon sourit doucement contre la peau de Myrtille lorsqu’il sent son bras se crisper autour de ses épaules. Ce grognement réveille ses pulsions bestiales mais il garde encore le contrôle sur la situation. De sa main droite, il guide sa tête pour qu’elle la bascule en arrière pendant qu’il remonte ses lèvres contre la peau de son cou pour revenir plonger les yeux dans les siens. Il ne veut pas louper un seul instant de cette montée du plaisir et graver dans sa mémoire ce regard là à la place de celui qu’elle avait dans la cage.
Le cœur battant, il laisse les secondes se suspendre pendant qu’il se noie dans ces yeux gris sombre, pétillants de plaisir, d’amour et de sérénité. Il profite de sentir son souffle court contre lui avant de répondre à l’appel de ses lèvres entrouvertes. Sa main sous son t-shirt frôle encore une fois une parcelle de zone sensible, lui provoquant un merveilleux frisson, avant qu’il ne déplace sa main dans son dos.

Il tressaille légèrement lorsqu’il sent sous ses doigts certaines cicatrices fraîches. Il ne parvient pas à garder les idées claires et ne peut s’empêcher de reculer un peu. La présence de son attelle au bras gauche se fait plus forte. Il ne peut pas à la regarder dans les yeux, incapable de lui expliquer ce qu’il ressent tout à coup. Son regard se pose sur son bras blessé et sa main droite glisse dans son dos, perdant le contact avec sa peau. Un silence pesant s’installe, il n’entend même plus son souffle rapide. Il comprend que son recul à eu un impact sur elle presque identique au sien.

Myrtille ferme les yeux pour calmer la douleur provoquée par son brusque recul lorsqu’il a touché les cicatrices de ses blessures reçue pendant son enlèvement. Elle comprend sa réaction. Mettant de côté sa frustration, elle refoule les souvenirs liés à ces marques avant de rouvrir les yeux. Il fixe toujours son bras gauche, fronçant légèrement les sourcils, en proie sûrement à divers sentiments qui s’entrechoquent dans son esprit.
Attendrie, elle retire doucement son bras de ses épaules pour se reculer un peu et lui faire doucement relever les yeux vers elle en soulevant tendrement son menton. Earon relève lentement les yeux de son bras pour stopper son regard quelques instant sur les marques présentes sur son cou avant de la regarder enfin. Elle se décide à briser le silence pour régler au plus vite cette tension qui s’installe à présent. Plongeant son regard dans le sien, elle murmure :

« Ni’Aya… No’Kita… Ne t’inquiète pas, tu ne me feras pas de mal. »

Earon fronce un peu plus les sourcils puis se détend légèrement, expirant une longue bouffée d’air. Elle ne lui laisse pas le temps de trouver ni de formuler des arguments qu’elle connait bien. Elle passe ses doigts sur sa joue en ajoutant :

« Les souvenirs liés à ces cicatrices n’ont pas leur place ici. Je ne souhaite pas les laisser venir, tu ne m’aides pas si toi tu les laisses t’écarter de moi. »

Il ouvre la bouche puis la referme. Elle sait toujours quoi dire pour calmer ses états d’âme. Il se retient de justesse de répondre comme il l’aurait fait d’habitude avec un « la porte est fermée pourtant ». Ce n’est pas le moment et ces cicatrices l’ont rendu sérieux. Il lutte entre l’envie de la serrer simplement contre lui pour la protéger à jamais de prochaines blessures et celle de ne pas la toucher pour ne pas lui faire de mal. Un éclair malicieux dans son regard réveille ses précédentes pulsions comme si elle avait soufflé sur un brasier. Ses paroles s’impriment dans son esprit et il en comprend vraiment le sens.
Un grondement sourd remonte de sa cage thoracique sous l’effet du désir et de la colère envers ces marques. Il glisse ses doigts sur le tissu de son t-shirt pour lui retirer. Elle montre un temps d’arrêt, resserrant instinctivement ses bras contre elle. Il plonge son regard à nouveau dans le sien et il la sent se relâcher. Il remonte le tissu lentement et prend soin de ne pas lui faire mal lorsqu’il passe l’attelle. Il lâche le t-shirt, ne s’en préoccupant plus du tout et pose les yeux sur sa femme.

Earon connaît la majorité des marques présentes sur la peau de Myrtille. Elle lui en a expliqué la provenance et il les a mémorisées plusieurs fois déjà. Aujourd’hui, d’autres marques sont présentes. Il ne les connaît pas et doit faire d’énormes efforts pour ne pas chercher à imaginer ce qu’il s’est passé. Il desserre les dents petit à petit, leur laissant moins d’impact sur sa colère. Du bout des doigts, il en frôle quelques-unes et en suit le tracé doucement. Elle frissonne  mais reste silencieuse, il la sent légèrement sur ses gardes. Étrangement, plus il les touche, plus elle se détend et plus sa colère diminue pour laisser place à un désir profond.
Ces cicatrices ne sont plus d’anciennes blessures reçues pendant son absence. Elles deviennent à ses yeux les chemins qu’elle a empruntés pour revenir auprès de lui. Parce qu’elle respire sous cette peau marquée. Elle est en vie et elle est auprès de lui. Il ne veut plus perdre un seul instant. D’une voix rauque, il laisse échapper :

« Tu es magnifique, Ni’Luna… »

Elle sourit en rougissant doucement. Sa respiration s’est accélérée de nouveau. Chaque mouvement de ses doigts longeant ses cicatrices, anciennes comme nouvelles, lui font tourner la tête. Elle voudrait que ce moment ne s’arrête jamais. Elle veut voir ce regard à chaque instant de sa vie, cet amour et ce désir qu’il contient font écho à ses propres sentiments. Sous le coup d’un violent frisson, elle se réfugie dans ses bras, nichant sa tête au creux de son cou.
Earon remonte doucement la couverture pour la glisser dans son propre dos avant de guider Myrtille pour l’allonger tendrement sur le lit et de la laisser se blottir au chaud contre lui. Elle sent sous ses doigts la puissance des battements de son cœur. Elle devine à sa respiration qu’il tente de calmer ses ardeurs. Il caresse doucement les marques dans son dos, comme pour les apprendre ou leur donner une nouvelle signification. Elle frissonne et lui laisse un peu de temps avant de se blottir encore plus contre lui pour le réveiller. Il grogne doucement puis se tourne vers elle.

Après quelques secondes de silence à l’observer, il murmure :
 « Tu es sûre que… Ca ira ?
Elle sourit et l’embrasse tendrement. Elle s’écarte lorsqu’elle sent la passion prendre le contrôle de ce baiser. Il grogne à nouveau, elle lui répond alors :
- Sûre et certaine.
Le regard d’Earon s’illumine avant de s’assombrir de désir.
- Très bien. Dans ce cas… »

Il bascule totalement la couverture sur eux avant de la reprendre dans ses bras. Il ne peut plus gagner du temps, son désir le rend totalement fou d’elle. Il compte bien le lui montrer aussi longtemps qu’il le pourra. Il n’a pas besoin qu’elle le lui dise pour qu’il comprenne que c’est également son cas.

Sa nuit, son mari. Sa Lune, sa femme. Leur moment, réunis. Enfin.