L’après-midi touche à sa fin
lorsqu’Earon et Myrtille quittent la maison. Pour éviter de se faire repérer,
Earon s’éloigne vers le Temple, la laissant rentrer seule chez les Gris.
N’ayant pas son masque sur elle, Myrtille garde la tête baissée et avance d’un
pas rapide jusqu’à la ruelle. Arrivée devant la porte, elle serre vivement les
poings en inspirant profondément pour combattre la légère appréhension qu’elle ressent.
Elle ferme les yeux quelques instants et se concentre pour afficher un air
neutre avant d’entrer.
Voyant que personne n’est encore
levé, elle referme doucement la porte. Elle met quelques secondes pour
s’habituer à l’obscurité de la pièce. Depuis longtemps, le clan des Gris
forestiers applique des mesures drastiques pour vénérer le dieu Sombre et leurs
missions. Ils s’imposent une vie d’obscurité pour côtoyer les Ombres au plus
près. Ils dorment donc la majeure partie de la journée et ne sortent que la
nuit. Ils ont recouverts toutes les fenêtres avec de très épais rideaux noirs
pour qu’aucun rayon de soleil ne pénètre dans la maison et portent des masques
aux visières teintées lorsqu’exceptionnellement ils sortent de jour.
Lorsque le premier Gris se
réveille, il est chargé d’allumer les bougies au rez-de-chaussée. N’en voyant
aucune, Myrtille se déplace doucement dans la pièce pour trouver de quoi les
allumer. Elle la connait assez bien aujourd’hui pour ne pas se prendre les
pieds dans un meuble mais elle garde quand même les mains tendues devant elle
pour éviter les surprises.
Cela fait longtemps qu’elle n’a
pas été la première levée, elle est rassurée de voir qu’ils ont gardé les mêmes
emplacements pour éclairer la pièce. Elle secoue la tête pour faire fuir ce
pincement au cœur provoqué par le souvenir de son enlèvement pendant qu’elle
allume la première bougie. La lumière dansante de la flamme chasse cette pensée
très vite.
Elle fait le tour des bougeoirs
calmement. Ce simple geste lui donne l’impression de se réapproprier les lieux.
Les fantômes et mauvais souvenirs qui rôdaient encore dans cette maison sont
lentement chassés par la douce lumière des bougies. Elle est chez elle. Elle
est rentrée. Elle est en sécurité.
Le cœur battant, Myrtille repose
le premier bougeoir à sa place et profite d’être encore seule dans la pièce
pour l’observer afin de la mémoriser. Elle ne s’était jamais sentie autant chez
elle qu’entre ces murs. Ce sentiment profond efface considérablement le malaise
qu’elle a pu ressentir ces derniers jours lorsque les souvenirs de son combat
perdu ici lui revenaient en mémoire. Elle sourit doucement et attrape une pomme
dans la corbeille de fruits avant de s’asseoir à table.
Elle en mange la moitié avant de
ressentir un léger haut le cœur. Les bruits familiers de Steven se réveillant
descendent des étages au moment où Earon ouvre la porte. Elle lui indique d’un
signe de tête les étages en haussant les épaules. Il hésite un instant puis se
décide à entrer. Steven descend les escaliers avec son habituelle discrétion
qui fait grogner leurs frères dans leurs chambres. Myrtille sourit doucement,
amusée. Earon prend une pomme à son tour dans la corbeille et se dirige à sa
place habituelle contre le mur sous l’escalier.
Lorsque Steven les aperçois, il
les salut d’un vague signe de tête tout en se frottant les yeux.
« Ha, j’avais pas envie de
devoir allumer en bas, merci.
- Pas de quoi.
Répond Earon à la place de
Myrtille. Celle-ci sourit un peu plus avant de se forcer à croquer dans le
reste de sa pomme. Steven s’arrête et les regarde un à un.
- Vous avez pas dormi ici vous
deux, j’ai pas entendu votre porte grincer.
Myrtille plonge le nez dans sa
pomme en se retenant de rire lorsqu’elle remarque la brusque gêne d’Earon
devant l’affirmation du jeune-homme. Il se masse la nuque en haussant une
épaule.
- Tu ronflais tellement fort,
To’Eni, que tu n’aurais même pas entendu les cris d’une attaque sur la brèche.
Intervient Sengal du haut des
escaliers. Steven rentre sa tête dans ses épaules, marmonne quelques mots et
préfère quitter la maison en haussant les épaules.
- Nous t’avons amené du bois pour
tes flèches To’Nam’Sa.
Dit-il en descendant les marches.
Elle se tourne vers l’atelier qu’indique Sengal où un petit tas de bois attend
sagement d’être travaillé. Elle incline la tête vers lui, touchée par cette
attention et ravie d’avoir quelque chose pour s’occuper les mains et l’esprit.
- Maino.
Sengal incline la tête en retour.
- Je suis rassuré de voir que
certaines tensions t’ont quittées.
Elle baisse son regard sur sa
pomme pour dissimuler son trouble. Elle n’y parvient sans doute pas aussi bien
qu’elle l’espérait car Sengal sourit doucement avant de se tourner vers Earon
qui ne fait pas meilleure figure.
- Nam’sa Tsalmaveth est rentrée
pendant ton absence la nuit dernière. »
Earon relève la tête vers Sengal
puis vers l’étage supérieur. Myrtille ne peut s’empêcher de regarder le plafond
à son tour. Elle baisse rapidement les yeux avant qu’ils ne la remarquent.
Elle laisse son esprit vagabonder
quelques instants pour calmer ce besoin de monter la voir. Luttant contre un
nouveau haut-le-cœur, elle se force à terminer sa pomme. Ses frères descendent
un à un et bientôt la pièce est remplie de discussions diverses. Elle sourit
doucement, profitant de ce brouhaha diffus pour laisser ses pensées aller et
venir. Elle se souvient de ce qu’Earon lui a raconté sur Tsalmaveth et son
talent chamanique. C’est elle qui lui avait fait faire le M’Zabibu pour aller
chercher l’âme de Steven dans le royaume des Ombres. Il était mort. Earon s’est
porté volontaire pour le retrouver. Myrtille n’a pas les détails de ce qu’il
s’est passé pendant ce rituel. Steven est revenu, Earon aussi mais pas seul.
Elle secoue doucement la tête,
balayant inconsciemment cette information de son esprit. Ce qui lui importe le plus
ce n’est pas son rapport avec les ombres mais plutôt ses dons de guérison et de
chamane. C’est la seule chamane autorisée à fréquenter les Gris Forestiers et
bien la seule avec qui Alpharius discute de temps à autre. Elle n’avait croisé
Tsal’ que quelques fois avant son enlèvement et elle l’apprécie beaucoup mais
elle hésite encore à lui parler de certaines choses.
C’est pourtant bien la seule qui
pourrait l’aider à ce sujet. Sentant le regard d’Earon posé sur elle, Myrtille
cesse de se mordiller la lève inférieure et cherche des yeux son masque.
Elle se lève pour aller le
chercher sur l’atelier avant de quitter la maison en l’enfilant. Lorsqu’elle
passe la porte, Steven se laisse tomber d’une ruine proche.
« Tu vas ou ?
Elle se passe une main sur le
ventre, réprimant un haut le cœur avant de répondre calmement :
- Méditer et m’occuper.
- Allons-y alors, ça me va.
Steven passe son arc à son
épaule. Myrtille se gratte la nuque, gênée.
- Tu comptes me suivre ?
- Ouaip. »
Elle hausse les épaules, grimaçant
de douleur à cause de cette épaule mal remise. Elle suit Steven vers le Temple,
ne pouvant s’empêcher de repenser à ce qui l’a poussé à se mettre en danger,
allant jusqu’à se blesser l’épaule, pendant sa période de méditation. Cette
douleur lui rappelle à chaque fois le choix qu’elle devait y faire et qui l’a
conduite jusqu’ici aujourd’hui.
« Les Ombres sont un chemin
dangereux, tu dois ôter tous tes doutes afin d’être sûre de ton choix, je te
conseille même de méditer plusieurs lunes pour ça. »
Earon lui avait conseillé de partir, elle avait suivit son conseil.
Elle avait laissé son vieil arc fabriqué avec ses sœurs dans la maison des Gris
avec ses flèches, pris quelques plantes et avait quitté la Brèche. Elle avait
trouvé un bon coin pour s’installer, dans une vieille maison abandonnée au-delà
des montagnes entourant Vedasq. Une sorte de petite vallée jaunie par l’automne
au creux d’une montagne à au moins un jour de marche de la ville. Assez loin
pour ne pas croiser quelqu’un qui pourrait la reconnaître et assez près pour
revenir rapidement en cas de danger.
Ayant passé les deux premiers
jours à se fabriquer un arc et des flèches, elle avait pu ensuite chasser pour
se nourrir. Une seule flèche à la fois, si elle loupait la cible c’est qu’elle
ne devait pas manger. C’était un exercice à la fois physique et mental, elle ne
faisait plus qu’une avec son arc et sa flèche.
Un matin de chasse, elle voit au sommet d’une montagne de la véritable
menthe sauvage qui pousse là-haut. Elle décide de monter en cueillir un brin
pour Earon. Arc à l’épaule, corde à l’autre, elle grimpe le flanc pendant toute
la matinée. Le Brin en main, son cœur palpite d’avance de voir la surprise
d’Earon. Elle le pose bien soigneusement dans sa sacoche et se penche
par-dessus la falaise pour jauger sa descente.
Son pied glisse et elle chute dans un cri étonné. A mi hauteur, elle
s’écrase dans un arbre. Son corps glisse entre les branches mollement, son sac
à dos s’accroche à l’une d’entre elle et son épaule craque dans un bruit sec
qui résonne, la tirant de son état à demi-sonné. Son bras droit est maintenu en
l’air par les branches entrelacées, comme pour l’empêcher de chuter, son épaule
lui fait si mal que sa tête devient brumeuse. Elle gigote, tentant de poser ses
pieds sur une branche solide, la douleur lui coupe le souffle mais elle y
parvient au bout de plusieurs essais.
Son bras est maintenant tiré en arrière, les larmes lui montent aux
yeux, elle retire son sac à dos et coupe la lanière bloquée sur son bras droit,
retirant le poids en trop. Le sac tombe et s’écrase vingt mètres plus bas. Elle
frissonne, pensant à l’état de son corps si cet arbre n’avait pas été là.
Myrtille secoue la tête, il lui faut vite se détacher de l’arbre avant
de mourir de faim ou de soif ou devenir la cible de n’importe quoi qui traîne dans les environs. Elle retire son bras gauche et sa tête de son pull puis
s’accroche au tronc pour tirer son bras hors du vêtement. Son cri résonne
contre la pierre. Le bras tombe contre elle, Myrtille pose son front contre
l’écorce, elle est en nage. La douleur est insoutenable. Elle continue
cependant à agir, tirant sur le vêtement pour le récupérer, le tissu se déchire
mais le pull tombe sur ses genoux.
Elle l’attache autour de son bras puis autour d’une branche. Elle fait
basculer son buste en arrière, l’épaule craque à nouveau et se remet en place.
Elle tâtonne pour vérifier l’état de son bras. Une belle éraflure couvre son
avant bras et l’épaule n’est pas vraiment bien remise mais elle peut bouger le
bras et les doigts.
Il lui faudra la fin de l’après-midi et le début de la nuit pour
toucher enfin la terre ferme et récupérer ses affaires et son arc qui, par
chance, n’a pas été brisé par la chute. Elle relève la tête vers le haut de la
montagne et l’arbre au milieu de sa course. Le brin de menthe au creux de sa
paume, elle ferme les yeux quelques secondes. Son choix est fait. Elle
rejoindra les Gris dès son retour.
Steven ne l’accompagne pas dans
le temple, il n’a pas besoin de se purifier. Il monte à la tour de garde entre
le temple et l’arène, en allume la torche et s’installe pour monter la garde.
Myrtille inspire, entre dans le temple jusqu’au fond derrière le rideau. Le feu
s’éteint presque, elle rajoute deux bûches avec de la sauge. L’odeur emplit la
pièce pendant que les flammes montent de plus en plus haut, léchant le bois.
Myrtille s’assoit en tailleur. Elle ferme les yeux et se concentre sur sa
respiration. Elle tente de se focaliser sur de bons souvenirs pour calmer sa
nervosité. Le Conseil nashen se déroule le lendemain soir et le cas de Dampen y
sera évoqué. Elle serre rapidement les poings sur ses genoux pour garder le
contrôle de ses émotions. Elle revoit alors rapidement le visage d’Earon
lorsqu’il lui a promis de la venger avant de sombrer brusquement dans un
sommeil profond.
Des cris. Myrtille rouvre les
yeux, la nuit touche à sa fin, elle n’est plus dans le temple. Les flammes de
la torche lui brûlent les yeux, elle met sa main devant et remarque le sang sur
ses doigts. Elle regarde autour d’elle. Elle se tient sur la tour de garde,
Steven est assis à ses pieds contre la torche. Sa main droite lâche le couteau
par-dessus la plate forme. Il tombe dans un bruit sourd, couvert par l’herbe.
Steven lève les yeux vers elle, elle ne voit pas l’expression de son visage
sous son masque. Il ouvre les doigts, le sang coule de sa hanche droite.
Myrtille tombe à genoux devant
lui, secouant la tête, elle tente de poser ses mains sur sa blessure mais
Steven recule. Elle lève les mains pour lui montrer qu’elle ne lui veut aucun
mal. Elle ne comprend pas ce qui s’est passé. Quelque chose coule le long de
son menton, elle s’essuie avec sa manche et voit le sang dessus. Elle vient de
boire celui de Steven. Effrayée, perdue, dégoûtée, elle saute de la tour pour
vomir puis court chercher de l’aide chez les Gris.
Elle tombe sur Sengal et Zeven
avant d’arriver à la maison. Le sang sur son haut, son visage apeuré et ses
mots paniqués leur font vite comprendre que quelque chose cloche. Ils la
suivent à la tour de garde. Steven n’a pas bougé. Sengal se penche sur lui, la
blessure n’est pas trop grave, il prépare sur place une pâte à base de racines
qu’il applique sur la blessure. Le sang a cessé de couler, Steven retrouve peu
à peu ses esprits. Il parvient à se lever, soutenu par Sengal. Myrtille fait
les cents pas au pied de la tour, tentant de comprendre ce qu’il vient de se
passer. Comment a-t-elle pu ne pas se souvenir de ce qu’elle vient de
faire ?
« Que c’est-il passé ?
Demande doucement Sengal une fois qu’ils sont tous descendus de la tour.
Steven regarde Myrtille qui se
mord la lèvre, paniquée. Il hausse les épaules.
- Je sais pas, une flèche sans
doute. Qu’as-tu vu Myrtille ?
Ils se tournent tous vers elle,
elle lève les mains.
- Je n’ai rien vu, tu l’as sans
doute retiré avant que j’arrive.
- Sans doute… »
Ils accompagnent Steven dans la
maison pour qu’il se repose. Myrtille voit son couteau dans l’herbe, elle le
ramasse. La lame est pleine de sang. Son bras l’approche de ses lèvres, son
cœur s’emballe, l’odeur enivrante lui fait tourner la tête. Elle se secoue et
jette l’arme par-dessus la haie. Elle repose les doigts sur son menton où
coulait le sang de Steven quelques instants plus tôt et réalise qu’elle ne
porte plus son masque.
Les premières lueurs du jour illuminent
le ciel. Elle le cherche rapidement, tentant de refaire le chemin inverse
qu’elle a pu faire pendant son moment d’absence. Il faut qu’elle comprenne. Elle
le retrouve jeté entre deux bancs dans l’allée du Temple. En le ramassant pour
le remettre, elle se souvient de sa première rencontre avec Earon. Une
rencontre bien étrange qui lui a ouvert la porte sur le monde des Ombres à
jamais.
Elle sort de la Brèche pour faire un tour avec sa sœur et une amie à
elle. Suzaane veille toujours sur sa tour, guidant les nouveaux éveillés que
lui envoi Vicodyn, le doc, vers la Brèche. Elles marchent vers le doc pour
cueillir les plantes qui foisonnent autour de son domaine. Un impur arrive sans
prévenir et tire quelques flèches sur le groupe. Myrtille ne sachant pas encore
trop se servir de son arme, elle se rend avec sa sœur et leur amie. Le
fondateur ne la regarde même pas, il attache Lissana et leur amie pour les
emmener à leur poste avancé.
Myrtille reste un moment allongée au sol, le regard posé sur le ciel. Elle
sent encore ce sentiment de faiblesse l’assaillir. La peur s’estompe peu à peu,
faisant place à de la colère envers ce Fondateur et également envers elle-même
de n’avoir rien tenté.
Elle se lève et fonce aussi vite qu’elle le peut pour aller chercher de
l’aide. Elle rencontre un jeune homme et est sur le point de l’emmener là où sa
sœur s’est fait attaquer quand un homme masqué et armé d’un couteau leur barre
la route. Il semble perdu, s’approche d’elle, brandissant son arme. L’insigne
Nashen sur sa poitrine la rassure, son instinct lui dit même de ne pas avoir
peur. Cependant, la colère provoquée par l’attaque précédente la pousse à
l’affronter, celui-là. Elle ne recule donc pas quand il place sa lame sous sa
gorge, réclamant du sang. Elle écarte même les bras, relevant la nuque dans un
air de défi. Son cœur bat la chamade, faisant pulser le sang dans ses oreilles
mais elle ne bouge pas. La lame contre sa peau tremble un peu avant de reculer.
Elle baisse lentement les bras, tentant de comprendre ses propres
gestes totalement suicidaires. Il réclame à nouveau du sang d’une voix
légèrement troublée. Ne relevant pas, elle lui indique l’endroit où le
fondateur est parti, il ne se fait pas prier et disparaît dans la nuit.
Elle regarde son arc et baisse les épaules. Elle ne serait pas efficace
si elle tentait maintenant de sauver sa sœur. Ils rentrent donc à la Brèche et
le jeune homme file s’occuper de ses affaires sans faire de commentaires sur le
comportement de la jeune femme. Myrtille s’assoit face au feu.
L’homme étrange revient et s’arrête non loin d’elle, sa lame toujours
en main. Elle tourne la tête vers lui. Ses cheveux noirs tombent autour de son
masque de traqueur, sa corpulence sèche lui donne un aspect tranquille mais
sauvage. Il est sans nul doute du genre à savoir s’éclipser sans se faire
remarquer.
« Vous avez eu le sang que vous vouliez ?
- Non… Enfin si… Un impur.
- Ca n’a pas l’air de vous satisfaire…
- C’est que… C’est du sang d’impur quoi.
Myrtille ressent comme une intuition, un instinct qui lui dit que
quelque chose ne va pas chez cet homme. Le ton qu’il emploi ressemble à celui
d’un enfant. Si elle avait écouté ses sœurs, elle n’aurait sûrement jamais agit
comme elle va le faire.
- Venez, je crois que j’ai une idée.
Elle se lève et contourne quelques maisons pour aller près des petits
feux à l’abri des regards indiscrets. Elle se retourne face à lui, sort son
couteau puis relève son gant gauche sur sa paume.
- C’est du sang pur qu’il vous faut.
- Qu…quoi ? Non ! Je ne pourrais pas, To’Sa. Non.
Elle ne lui laisse plus trop le temps de protester, elle tranche son
poignet là où elle sait que ça ne la blessera pas gravement. Elle lève le
poignet ouvert et lui tends.
- Allez-y.
Il secoue la tête mais elle sait qu’il fixe son poignet. Il pose ses
doigts autour de la blessure, soulève un peu le masque et porte ses lèvres au
sang qui goutte. Lorsqu’il aspire le liquide vermeil, elle ressent un frisson
lui parcourir l’échine. Il boit pendant de longues secondes puis repousse son
poignet.
- Qu’est ce que… Je…
Il s’effondre assis au sol comme sonné. Myrtille recule et bande la
plaie. Elle reste là, silencieuse. L’homme s’endort à moitié, elle l’entend
marmonner puis il relève la tête. Il la salue comme s’il ne l’avait jamais vue,
elle répond à son salut par habitude, pourtant un peu troublée.
- Pardon je… Qu’est ce que je fais là ?
Il regarde tout autour de lui et se lève d’un bond.
- Je suis à la Brèche ?
- Oui. Vous ne vous souvenez de rien ?
Elle cache son poignet dans son dos. Il secoue la tête, lève les yeux
vers le ciel.
- Il fait nuit…
- Oui, depuis peu.
- Quel est votre nom ?
- Myrtille.
- Et bien, j’imagine que je dois vous remercier, Nam’Sa Myrtille pour
cette nuit.
Elle resserre sa queue de cheval, légèrement troublée.
- Ah… Si vous le dites. Et vous ?
- Moi ?
- Votre nom.
- Oh, oui. Earon.
- Enchantée. Mais… Vous dites que c’est votre première nuit c’est bien
ça ?
- Depuis longtemps, en quelque sorte, oui. Voulez vous en profiter dans
une petite chasse avec moi ?
Elle regarde son arc puis repense à sa sœur.
- Pourquoi pas ! »
Ils ont passés la nuit à faire le
tour de Vedasq et à discuter. Elle apprend bien plus tard que la première
personne qu’elle a rencontrée n’était pas Earon mais Norae, son Ombre
Gardienne. Myrtille se masse le poignet. Elle a maintenant trois cicatrices sur
chaque poignet, preuve du nombre de nuits qu’elle lui a offert avant qu’ils
comprennent comment arranger les choses. Même si la façon utilisée était un peu
risquée et qu’elle a failli coûter la vie à trois Gris. Un long frisson lui
parcours le dos, elle relève la tête vers la tour de garde avant d’entendre
dans son dos :
« Myrtille ? Ca
va ?
Elle se retourne pour se
retrouver face à Earon. Elle secoue la tête, se mordant la lèvre.
- Non… Je ne crois pas.
- Suis-moi.
Il indique le toit d’un signe de
tête. Elle hoche la tête et lui emboîte le pas. Une fois en haut à l’abri des
oreilles indiscrètes, elle s’assoit près de lui mais garde le silence. Il la
fixe longuement.
- Ni’Luna, Kita’ni…
- Ne t’inquiète pas pour moi… Tu
sais que j’ai horreur de ça.
- J’ai mes raisons.
- Lesquelles ?
- Premièrement tu es blessée,
deuxièmement tu t’es fait enlevée et je t’ai crue morte, troisièmement tu as du
sang sur les mains.
Elle ouvre la bouche puis la
referme et grogne en frottant inutilement ses mains sur son pantalon.
- C’est celui de Steven.
- Je sais.
Il pose tendrement ses mains sur
les siennes pour qu’elle cesse de les frotter.
- Tu en as bu ?
Elle le regarde vivement puis
baisse la tête.
- Je ne sais pas, j’imagine que
oui. Je ne me souviens pas. Tu…tu crois que… ?
- Sans doute. Ou bien c’est la
pente, tu es descendue très bas pendant ton séjour chez les fondateurs. Ce
n’est qu’un contre coup peut-être.
- Je l’espère… S’il te plait
Ni’Aya, ne dit rien. N’en parlons plus. »
Il garde le silence mais
l’entoure de ses bras. Myrtille préfère fermer les yeux, espérant que c’est
bien ce qu’il dit. Elle refuse de passer là où il est passé.
Lorsqu’elle est entrée et qu’elle
a vu Earon au sol, maintenu par Zeven et Sengal répétant les mots rituels,
Norae lui criant qu’ils tuaient Earon en le retirant de son corps, le sang
partout… Elle frissonne.
Il
l’embrasse sur le front et resserre ses bras autour d’elle. La boule au fond de
son estomac se fait plus lourde, un cri résonne dans sa tête. Elle ferme les
yeux, se concentrant sur les bras d’Earon. Le cri finit par disparaître. Elle
fixe le ciel en silence. Et si ce n’était pas qu’un contre coup de la pente,
finalement ?