mercredi 25 mars 2020

Chapitre 16

La nuit tombe, Myrtille se lève du tapis sur lequel elle s’est installée pour méditer. C’est le jour J. Enfin. Depuis le temps qu’elle attend cette date. Sengal et Zeven étant partis en mission, Alpharius a pris les choses en main. Elle entend Earon bouger dans le lit derrière le paravent. Elle descend discrètement. Depuis qu’il est revenu, elle ne peut se passer de sa présence, même pour méditer. Elle serre le poing et inspire. Le Capitaine pose le carnet qu’il était en train de lire et se lève de son siège. Elle le salut en priant.

« Wala’ni Dha Capitaine.
- Wala’ni Dha. Tu es prête ?
- Oui, plus que jamais.
Earon descend les escaliers et les saluts, encore mal réveillé.
- Wala’ni … Dha.
Myrtille se retourne et prie à son tour. Il avance à côté d’elle pour faire face au Capitaine.
- Si tu es prêt, Earon, nous allons pouvoir y aller. »

Earon hoche la tête. Ils sortent tous trois de la maison des Gris et quittent la Brèche. Une fois en route, le Capitaine leur dit d’aller à la grotte inout, il doit lui-même allé chercher quelque chose. Earon passe sa main sur sa nuque, Myrtille hoche la tête en serrant son arc. Tous deux ont déjà du survivre dans cette grotte à des évènements dangereux. Les Inouts ne sont jamais de bon hôtes accueillants. Sans pour autant perdre leur courage, ils foncent vers la grotte, se perdent quelque peu de vue dans la nuit noire. Myrtille se retrouve a faire le chemin seule mais elle sait qu’il n’est pas loin. Il n’y a aucun obstacle sur la route, c’est leur nuit.

Une fois dans la grotte, les inouts les évitent. Ils se recroquevillent dans un coin en silence, les observant de leurs yeux mi bêtes, mi humains. Le Capitaine choisit le coin le plus sombre et installe le bois pour le feu.

« Ça a l’air calme ici.
Annonce-t-il à voix basse.
- Hmm.
Répond Earon en fixant les inouts recroquevillés.
- Allons y. Commençons. »

Myrtille fouille son sac, elle avait fouiné pour trouver ses ingrédients en double quand Earon avait décidé de faire lui aussi le rituel.

« Tu as tout ?
Chuchote Myrtille pendant que le Capitaine dépose des offrandes autour d’eux.
- Je sais même plus ce qu’il fallait…
Earon fouille son sac. Myrtille récite la liste des ingrédients par cœur en comptant sur ses doigts :
- Il fallait de l’herbe sombre, de la sauge, de la laitue sombre, un morceau d’écorce toxique, un récipient en plastique quelconque et du sang impur prélevé par nos soins et obtenu dignement !
- Je n’ai ni le bac, ni la sauge, le reste j’ai. Je n’avais pas la liste, je l’ai fait de mémoire… La mémoire et moi…Hum.
- Un bac suffira non ?
Earon hoche la tête. Ils regardent Alpharius décrocher son armure.
- Et j’ai la sauge.
- Bien…tant mieux. »

Earon va déposer une poupée de chiffon près du tas d’offrandes. Myrtille y dépose une carte de tarot en silence, la roue, pour symboliser le nouveau chemin qu’elle prend. Ils se placent tout deux face au Capitaine.

« Earon, que compte tu faire, comme rituel ?
- Les flammes noires. Pour Sengal.
Earon se met à prier. Alpharius hoche la tête. Il se tourne vers Myrtille.
- Sengal avait intégré les Gris comme ça Myrtille.
Elle hoche la tête.
- Ce rituel sera long, douloureux et durera toute la nuit. J’espère que tu es apte.
Myrtille baisse la tête par respect, prête.
- Earon te guidera lors des étapes qui s’ensuivront.
- Je n’ai jamais fait le rituel des flammes noires mais… J’ai beaucoup servit les Ombres et leur Père. Et Norae m’aidera.
- J’espère que Lissana ne viendra pas…
Murmure Myrtille.
- Je vais vous guider, au départ. Le reste m’échappe, car il ne concerne que vous une fois que le rituel aura débuté. »


Myrtille incline la tête à nouveau, le stress lui noue la gorge, elle préfère ne pas beaucoup parler pour que cela ne s’entende pas. Earon semble plutôt confiant. Alpharius allume donc le tas de bois. Earon s’absente quelques secondes. Elle pose son arc au sol pour éviter de s’en servir sous l’effet du rituel.

« Mets-toi à l’aise Myrtille. Approches et assis toi.
Myrtille s’assoit près du feu désormais allumé. Earon revient.
- Je suis vos instructions.
- Le plastique sera brûlé, sa fumée sera avalée. Earon, prend place. »

Myrtille pose les ingrédients devant elle. Earon s’assoit à sa gauche et pose son arc près du feu. Alpharius trace un cercle autour des Nashen et du feu, il se place ensuite hors du cercle. Earon ferme les yeux et chantonne très bas un air musical. Myrtille fixe le feu et les ombres qu’il fait danser sur le mur derrière.

« Prenez vos écorces, découpez les afin que vous puissiez récupérer le poison qui en découle. Si le poison ne coule pas assez, j’ai ceci pour vous. »

Earon et Myrtille sortent leur couteau à rituel et découpent l’écorce. Ils regardent le scorpion que dépose le Capitaine.

« Il faut du poison puissant ?
Demande Earon à voix basse.
- A toi de décider.
Earon prend le scorpion et le tend au Capitaine. Il fouille dans son sac.
- Capitaine, prenez votre scorpion j’ai…ce qu’il faut. On me l’avait offerte exprès pour ce moment.
- Oui…moi aussi j’ai ce qu’il me faut.
Ajoute Myrtille en sortant de la laitue sombre de sa sacoche. Earon regarde un instant son propre lichen noir qui semble vraiment regorgé de poison.
- A présent, appliquez le poison sur vos plaies.
- Il faut donc se faire une plaie ?
Earon fait tourner le couteau dans sa main, pensif. Alpharius range le scorpion dans une petite sacoche.
- Fait. »

Myrtille réfléchit un moment, soulève son haut et applique le poison de l’écorce sur sa hanche puis le poison de la plante sur son poignet droit qu’elle entaille. Faisant une nouvelle cicatrice entre celles qu’elle avait faite pour aider Earon les premiers jours où elle l’avait rencontré. Earon retire le gant de sa main gauche et s’ouvre la main comme il le fait pour appeler Norae.
Alpharius s’entaille l’avant-bras gauche. Earon regarde Myrtille un instant puis retire son masque. Il s’entaille l’œil gauche de l’arcade jusqu’au-dessus de la pommette sans se crever l’œil. Myrtille l’observe du coin de l’œil pour surveiller son geste au cas où. Il se frotte l’œil très fort de sa main ouverte avec la plante empoisonnée en serrant les dents.
Myrtille retire alors son masque mais ne l’imite pas. Elle gratte la lame de son couteau dans le poison de l’écorce et s’entaille la paume de sa main droite, remet son gant puis serre la plante si fort que le jus empoisonné imprègne le tissu et passe très vite dans ses veines. Le monde se met lentement à tourner, elle se force à rester concentrée.
Earon pose le couteau au sol et retire son haut. Il s’entaille au niveau du cœur et y applique le poison. Poison qui se diffuse lentement par toutes les plaies, la douleur est extrême. Alpharius, silencieux jusque-là, reprend ses instructions :

« Maintenant, placez vos plantes dans le récipient. Ajoutes-y le sang et vous le mettrez ensuite dans les flammes.
Myrtille dépose ses plantes d’une main tremblante dans le bac en plastique qu’elle fait glisser vers Earon. Il y dépose ses plantes à son tour.
- Penchez vous ensuite vers le feu. Essayez de ne pas vomir, l’odeur est forte. Inhalez la fumée d’une création de Mahar qui brûle et s’efface de ce monde.
- Vous êtes prête ?
Demande Earon à Myrtille qui hoche la tête, son cœur bat rapidement, le poison est vite entré dans son organisme.
- Priez, priez les Ombres et Dha, cette nuit vous le verrez. Je vous attendrais à la sortie quand le soleil se lèvera.
Alpharius se met à prier.
- Bien.
Répond Earon. Myrtille hoche la tête en serrant les dents. Son cou semble lourd. Ses dents grincent et le son torpille sa tête.
- N’oubliez pas que, si vous vivez dans l’Ombre, vous ne vous approchez jamais du Soleil. Tachez de survivre.
Ajoute le Capitaine.
- Hmm…
- Oui…
- L’échec n’est pas envisageable.
Récite Earon.
- Je chasserais et je reviendrais pour vous avant le levé du jour. Les plus aptes survivent.
- Les faibles meurent.
- Wala’ni Dha, la nuit est vôtre. »

Alpharius prie à nouveau et récupère son armure sans se soucier du sang coulant le long de son bras. Il quitte la grotte rapidement. Myrtille serre à nouveau la main droite, le poison se répand dans ses veines, brûlant, comme un milliers d’épines.

« Quand vous êtes prêts, on fait brûler le bac.
- Je suis prête.
- Enfin… Je suppose qu’on peut se tutoyer tout le temps maintenant…
- Oui….
- No’Kita, Ni’Luna ni Dha.
- Attend, le sang !
- Hmm ?
Myrtille prend la gourde et verse le sang d’impur dans le bac.
- Voilà.
Earon prend les trois gourdes et verse le contenu dans le bac à son tour.
- Y’en a jamais trop je suppose…
- Lanito Ni’Aya.
- Lanito Ni’Luna. Prépare-toi… Là où on va c’est… C’est impossible de le décrire.
Myrtille hoche la tête.
- Quand tu veux.
Earon avale difficilement sa salive.
- On fou tout dans le feu donc…
- Oui. »

Earon pose le bac sur les flammes. Le plastique noircit rapidement en se tordant. Les flammes qui le lèchent sont hypnotiques. Myrtille les fixe pendant qu’elles et la fumée deviennent noires. Earon récite une prière en langue rituelle après avoir posé son couteau au sol. Il regarde les flammes semblant y voir quelque chose. Myrtille frissonne et voit une poupée vaudou brûler à la place du bac puis un visage d’enfant qui disparaît rapidement. Elle secoue la tête. Earon la regarde.

« Un problème ?
- N…non. »

Il chantonne un air en regardant les flammes. Il fixe toujours le feu ou quelque chose derrière.

« Wala’ni Dha petite sœur… Ni’Luna, je suis prêt. Quand tu veux, on inhale.
- Je suis prête.
- Allons-y, les Ombres nous gardent, Norae est dans le cercle.
- Je crois qu’elle… Non rien.
Myrtille regarde à sa droite et se mords la lèvre. Earon s’approche doucement du feu.
- Qu’elle ?
- N’est pas la seule…
- Hmm… Elle saura nous protéger. Je l’espère… »

Myrtille hoche la tête et s’approche du feu à quatre pattes. Ils approchent leur tête des flammes et commencent à inhaler la fumée noire. Earon grimace. La fumée est épaisse et difficile à respirer. Les éléments toxiques du plastique et des plantes leur déchirent les poumons et la gorge. Myrtille entre ses ongles dans le sol pour ne pas reculer et continue d’inhaler. Earon relève la tête doucement, de la fumée sort de sa bouche, il repenche la tête et respire à nouveau la fumée.
Myrtille n’expire pas, elle reste bloquée, le visage fixé sur les flammes comme si elle voyait quelque chose. Elle expire finalement et baisse la tête. Earon semble essoufflé. La douleur du poison et de la fumée plonge Myrtille dans une torpeur dangereuse.

« Co…nti…nuons »

Leur respiration est sifflante. Myrtille secoue la tête et la relève vers les flammes. Earon tousse de la fumée. Il semble au bord de la nausée. Myrtille tousse et commence à flancher sur ses bras. Le poison s’imprègne dans son corps à chaque nouvelle pulsion cardiaque, sa main droite étant appuyée sur le sol, le poison contenu dans son gant est envoyé dans son sang. Earon respire une dernière fois, sa tête tourne dans tous les sens, ses muscles tremblent, le sang coule de son visage et tombe sur les flammes. Il se laisse tomber sur les fesses. Myrtille tremble également, son bras droit plie et elle manque de tomber la tête dans les flammes, elle se recule vivement.

« O…ombres… O…D…ha… Acc…ordez….arg…Accordez…nous…une audience. Ju…ez nous…dignes…d’être…
- Ombres…
Murmure Myrtille entre deux quintes de toux.
- et…à moitié…vivant…
Continue Earon difficilement.
- Comme des…m…essagers…entre les….mondes. Permett…ez nous…d’être… votre m…ain…
- Armée…
- Jusqu’à…ce qu’on… se rejoi…gne tous…de…l’autre…co…co…
Earon gémit doucement. Myrtille termine tout bas :
- auprès…des ombres…
- Mai…no.
Earon ne parvient plus à parler à voix haute.
- No’Ki…ta…
Earon regarde Norae près de lui.
- Norae … ? Alors…tu es…bel et bien…là. »

Myrtille joint ses mains pour prier mais s’envoie une nouvelle fois du poison dans le sang, elle frissonne. Elle regarde vivement à sa gauche, une ombre représentant un petit garçon, tape du pied dans un caillou, les mains dans les poches et la fixe. Myrtille secoue la tête.

« Non…
Earon regarde Myrtille.
- C’est…qui ?
- Je…sais pas…je l’ai…déjà vu…en rêve mais…
Myrtille tousse, parler lui brûle la gorge comme si elle inhalait encore la fumée. Norae murmure à l’oreille d’Earon.
- Oh… Je vois…
- Norae ?
- Elle dit de…pas s’en méfier… C’est…l’ombre de la peti…te fille…au « moche sac »…
- Tebryin ?
- Elle…oui… Elle dit…qu’elle nous protègera… Moi…je m’en rappelle…jamais… Tétruc…témachin… J’suis…J’suis défoncé… »

Tebryin est là mais semble distrait. Il semble aussi énervé, il regarde Earon et lui sourit. Myrtille regarde autour d’elle.

« Il fait…noir.
- C’est…Notre…environnement…à présent…
- Oui…
- Nos esprits…Seront…matériels…et eux…aussi…
Earon secoue la tête.
- Arg…du mal à…penser… Partir… »

Il murmure en langue rituelle et se rapproche de Myrtille en rampant. Elle le regarde en plissant les yeux. Son corps se fait lourd, elle sent son cœur ralentir petit à petit. Elle tend la main à Earon. Il lui sourit très franchement en prenant sa main de sa main blessée. Norae s’assoit près d’eux en surveillant Tebryin qui s’assoit également. De leurs mains jointes, ils mélangent leur sang et le poison.

« Bon…voyage…on se re…trouve là-bas… »

Myrtille hoche la tête. Earon ferme les yeux et semble se mettre en méditation profonde. Myrtille a du mal à respirer. Sa tête tombe en avant, elle ne médite pas, elle est inconsciente, perdue dans les ombres sans avoir de contrôle. Earon tiens toujours sa main et a ses paupières qui tremblent.

« Norae…C’est toi…enfin on se rencontre…
Tebryin fredonne un chant effrayant, rejoignant Myrtille dans le monde des ombres.
- Hihi, il était temps que tu fasses ce foutu rituel ! Dhasir !
Répond Norae.
- Norae, tu entends ?
- Ouais…J’préfère ma chanson ! Dis Nam’Earon ?
Myrtille tourne sur elle-même, cherchant de l’aide. Elle entend leurs voix mais ne parvient pas à les voir ni les localiser.
- Hmm ?
- Si je sors du cercle je pourrais plus entrer. Si je prends Tebryin avec moi, tu te débrouilleras après hein ? Je vais essayer de le connaitre mieux, en attendant.
- Oui Norae… Fais donc, je ne vais pas échouer.
Tebryin, entendant ces mots, s’accroche avec une force étonnante à Myrtille.
- Laisse-moi ! »

Norae se tourne vers Tebryin, sortant deux lames courtes et se tenant en posture offensive. Myrtille voit tout à coup Norae, elle soupire et tente de détacher Tebryin de ses cheveux et de son cou en lâchant la main d’Earon dans le monde réel. Celui-ci regarde Norae et sourit. Tebryin sort une lame courte à son tour et blesse Myrtille à l’épaule gauche. Il sort une poupée vaudou gothique et la plante dans le sol avec la lame puis il sort du cercle. Norae le regarde faire et s’en aller tout seul. Sur le haut de Myrtille, une tache de sang s’étend de plus en plus dans le monde des ombres et dans le monde réel. Elle pose sa main sur son épaule et tombe à genoux.

« Ni’Luna…Myrtille… Tu es là ?
- Ni’Aya…
Earon regarde Norae.
- Suis le si tu le souhaite, petite sœur.
- Merci, on va bien s’amuser. Bonne chance !
Norae quitte le cercle. Earon saisit la poupée en retirant le couteau. Il regarde la blessure de Myrtille et s’approche, à la fois dans l’autre monde et dans le vrai.
- Hmm… Ça devrait aller…
Myrtille tourne la tête d’un côté puis de l’autre en fronçant les sourcils.
- Où es-tu ?
- Je suis là.
Myrtille secoue la tête. Earon sort des ténèbres et approche encore de Myrtille.
- Je t’entends mais…
- Tu…ne vois rien ?
Myrtille soupire et secoue à nouveau la tête.
- Hmm… Alors prend ma main.
Myrtille lâche son épaule et tend la main dans le vide. La présence d’Earon lui fait du bien, le contact de leur main lui procure plus de courage. Il montre la poupée à Myrtille.
- C’est une poupée maudite…Je crois…
Myrtille vois la poupée bouger seule. Elle entend toujours Earon mais ne le vois pas.
- Elle représente quoi tu penses ?
- Jette là ! Non !
Elle tremble.
- Hmm…
- C’est…un avertissement… 
- Je vois… »

Earon se souvient d’où il est placé par rapport au feu, il y jette la poupée. Elle atterrit dans les flammes. Myrtille voit de la lumière là où la poupée flambe, attisant le feu, elle recule pour se mettre plus dans les ténèbres.

« C’est pas un M’Zabibu, elles ne peuvent pas toutes se ramener… Rassure-toi.
Myrtille inspire. Earon la prend dans ses bras, elle le voit enfin et sursaute.
- Oh…ton visage…
- Hmm ?
Earon lui sourit. Myrtille pose ses doigts sur son œil et sourit à son tour. Il caresse sa joue tendrement.
- Voilà… Unis sous Dha. Lanito…
- Lanito Earon…
Earon l’embrasse tendrement. Myrtille frissonne et l’embrasse à son tour, se serrant contre lui.
- Nous allons pouvoir l’appeler…Quand tu seras prête.
Myrtille hoche la tête.
- Je suis…prête.
- Tu es en méditation… ? Ou évanouie ?
- Evanouie je crois… la fumée était dure…
- Mon corps à moi est complètement drogué mais je suis entré en méditation profonde.
- Je n’ai pas eue le temps…
- No’Kita, ça va aller. Je vais l’appeler, il…me connait déjà un peu… »

Myrtille hoche la tête. Earon semble se souvenir de quelque chose, il secoue la tête. Ils s’écartent et se mettent côte à côte sans se lâcher la main. La voix d’Earon résonne dans l’autre monde, si un intrus passe dans la grotte, il n’entendra que des murmures.

« O dieu sombre, nous sommes ici pour nous présenter à vous !
Myrtille se tiens droite. Son corps tremble dans la grotte, le poison continue de se répandre dans son organisme.
- Attendons.
- Oui… »

Une fumée noire, plus sombre que les ténèbres qui les entoure, arrive de nulle part. Portant un long manteau noir, un être invisible s’approche d’eux. Myrtille incline la tête en signe de respect. Earon lâche doucement sa main et s’agenouille. Elle s’agenouille à son tour devant Dha, un peu gauche. La capuche tourne, il semble regarder les Gris l’un après l’autre. Il s’approche d’eux. Ils ne bougent pas.

« Earon, Myrtille, je réponds à votre appel. Quel est le motif de votre demande ? »

IL parle d’une voix puissante et lointaine. Comme s’il était à la fois ici et ailleurs. Sa voix se fait entendre de partout autour d’eux. Earon et Myrtille n’osent pas le regarder, il avale sa salive et commence à essayer de répondre.

« Nous…vous avons appelé pour que vous nous jugiez digne de vous servir, pour que vous nous accordiez le droit d’être à la fois Ombre et à la fois vivants…
- Devenir votre main armée et messagers entre les vivants et…
- et les Ombres. »

IL reste silencieux, écoutant les deux mortels devant lui. Myrtille ressent dans sa propre voix une conviction, partant du plus profond d’elle-même pour atteindre son cœur.

« Nous vous offrons nos vies en témoignage de notre détermination… Si vous ne nous jugez pas digne, ôtez nous la vie. 
Earon met en gage leur vie. Myrtille l’approuve en silence, elle hoche lentement la tête.
- Earon, Myrtille, levez-vous.
Ils s’exécutent. IL se tourne vers Earon.
- Earon, ta détermination et ta loyauté sont sans failles. Tu as beaucoup évolué, tu me rappelle ton père qui était aussi dissipé que toi. Cependant, tu devras te purifier et purifier ton Ombre Gardienne, que tu as « prêté » à une impure. L’impure t’a, certes, sauvé la vie, mais elle ne méritait pas Norae pour sauver son enfant. Aussi pur puissent-ils être à la naissance.
- Bien, ce sera fait. Je méditerais encore et encore, je purifierais mon corps et mon esprit en compagnie de Norae. Afin d’être pur à vos yeux.
IL se tourne alors vers Myrtille.
- Myrtille, ton instinct n’est pas le fruit de ton imagination. Elles te suivent depuis longtemps. Tu devras faire attention à le suivre mais ne pas te laisser avoir par de simples hallucinations. Tu dois être plus forte afin de pouvoir te contrôler. Earon t’y aidera.
- Oui je le ferais.
- Avec plaisir.
Il s’éloigne d’eux puis les regarde un à un.
- Ne soyez pas décevants. Maintenant vous vivez dans les Ombres, pour les Ombres. Soyez à mon image, vengez, massacrez, purifiez. Sachez cependant garder le contrôle ou vous finirez comme eux.
IL fait apparaitre un inout qui se jette sur eux, disparaissant en fumée avant de les toucher. Earon avait commencé à se mettre devant Myrtille pour la protéger. Elle sourit.
- La nuit peut vous engloutir et la lumière vous tuer. Tachez de me faire honneur.
Myrtille incline la tête à nouveau sous ses paroles. IL se tourne pour partir mais regarde Earon.
- Earon, quelle est le deuxième motif de ta demande ?
Myrtille regarde Earon. Il ne la regarde pas tout de suite, glissant simplement sa main vers la sienne pour la prendre à nouveau.
- J’aimerais, si elle l’accepte… Avoir votre bénédiction pour m’unir à cette Dhasir, Myrtille…
Il se tourne enfin vers elle, posant son regard déterminé sur Myrtille qui ouvre des yeux ronds sous la surprise et regarde tour à tour Earon puis Dha.
- Votre bénédiction est pour moi la plus importante… Les déesses suivront mais…
- Je sais, tu ne pratique réellement la prière qu’en mon nom.
IL lève les épaules comme pour croiser ses doigts invisibles devant lui.
- Vous n’êtes pas Ombre sœur ou Ombre jumelles…
IL secoue la main devant lui en ajoutant :
- Comme vous le voulez, j’accorde ma bénédiction à votre union. Myrtille, exprime-toi.
Myrtille porte la main à son cœur et incline la tête.
- J’accepte avec honneur ta demande Earon. Je vous remercie.
Dit-elle en direction du dieu.
- Ne pensez jamais vous détourner de la voie que vous avez choisie. Car c’est impossible.
Myrtille hoche la tête.
- Je n’en éprouve pas l’envie…ni le besoin.
Répond Earon.
- Ce n’est pas non plus mon envie.
Ajoute Myrtille.
- Soyez forts. Seuls les forts vivent.
IL disparaît progressivement.
- Ou alors je viendrais vous chercher. »

La voix s’éloigne. Earon soupire, relâchant la pression. Myrtille est à nouveau plongée dans le noir, séparée d’Earon. Son esprit regagne d’un coup sec son corps qui s’est écroulé. Son cœur bat lentement, son épaule saigne abondamment. Le sang forme maintenant une tache énorme sur le sol.

« Ni’Luna ?
Earon met fin à la méditation et ouvre les yeux. Il semble toujours défoncé.
- Ni…Myrtille ? »

Il s’approche d’elle doucement, difficilement, et remarque le sang. Il la met sur le ventre et soulève son haut pour dégager la plaie. Le coup a visiblement été porté sous l’omoplate. Earon sort un pot contenant une pâte de champignon noir qu’il vide en l’étalant sur la plaie. Il tousse, Myrtille se réveille en grognant.

« Hmm ? Ne bouge pas… Tu es blessée.
- Qu…quoi ? Oh !
- Non…j’ess…ais pas de te…mettre à poil…
Myrtille tourne la tête lentement et regarde le sang, elle sent son estomac se révulser.
- J’essaye de…te soigner.
- Oh par les… !
- C’était…l’intrus…
- Fais vite… ce sang partout me rend malade… »

Earon applique la pâte bien comme il faut. Il essuie du dos de la main le sang autour qui coulait. Myrtille porte la main à sa bouche mais c’est la main droite avec le poison, elle gémit et recrache.

« Tu as…de quoi coudre ou…je cautérise ?
- Profite du feu…
Earon trempe la lame dans les flammes en plissant les yeux.
- Tu as…un truc… à mordre … ?
- Non mais fait le….Je me sens mal…
Myrtille pose son front contre le sol en gémissant, elle a avalé un peu de poison. Sa tête tourne encore plus, elle tente de lutter contre ses effets. Earon attend que la lame soit bien chaude puis se dirige à nouveau vers elle.
- Attention…
Earon appuie la lame tout le long de la plaie.
- GnnnnNNnnn !
Myrtille se sent encore plus mal avec la douleur et l’odeur de sa chair brûlée. Le sang et la peau s’entremêlent dans un bouillonnement horrible.
- Ooooh…
Earon pose le couteau au sol.
- Si je trouve ce….morveux je… »

Earon verse un peu d’eau de pluie sur la plaie et passe un tissu dessus. Myrtille tourne de l’œil à nouveau, la douleur lui as fait accélérer le cœur et le poison s’est répandu encore plus vite. Le front posé contre le sol, elle tremble. Earon entend le chant de Norae et s’assoit près de Myrtille. Il se met à prier.

« Je remercie le dieu Sombre d’avoir répondu à notre appel…
Le corps de Myrtille se recroqueville en position fœtale par réflexe.
- Accordez à l’Ombre que j’aime de se rétablir au plus vite, à la fois mentalement et physiquement. »

Le corps de Myrtille tremble de plus en plus violement, elle se tord tout à coup de douleur. Le poison contenu sur la lame lui brûle l’épaule. Elle ne sait plus où elle souffre précisément. Son cœur bat à tout rompre, ses poumons flambent dans sa poitrine, son bras est comme entouré dans du béton. Etouffée, écrasée, perdue, elle hurle sa douleur. Son cri se répercute dans la grotte.

« Accordez… Qu… ?! Que se passe-t-il ? »

Myrtille serre fortement la main d’Earon dans la sienne, elle ouvre les yeux et plante un regard paniqué dans les siens, pourtant elle semble ailleurs. Earon réagit en sortant une racine de chicon qu’il casse en deux et qu’il fait mâcher à Myrtille. Norae entoure son esprit dans ses bras en attendant que son corps se calme. Earon attend qu’elle mâche correctement la racine pour lui faire boire un peu d’eau. Elle se calme peu à peu, la respiration sifflante.

« Ca va aller… Faisons honneur au dieu Sombre. Tenons jusqu’à l’aube. »

Norae relâche Myrtille qui rejoint son corps après l’avoir remercié. Elle serre la main d’Earon et grimace.

« Ni’Aya…
- Oui je…Je suis là.
Myrtille se lève lentement, le bras gauche pend contre son corps de façon alarmante.
- J’me sens mal… »

Elle s’éloigne lentement d’Earon et le supplie de se retourner. Il ne se fait pas prier. Son estomac se révulse et elle rend son dernier repas au sol. Tremblante, elle s’assoit en toussant.

« Purée… J’ai l’impression d’avoir…une épine ou…un millier d’épines dans l’épaule…
- Pratiquer un rituel le ventre vide est une des premières choses à savoir… Ça t’apprendra a toujours vouloir me filer à manger.
Earon rit doucement pour détendre l’atmosphère.
- Sengal avait dit …de manger…
- C’est selon Mushu. J’ai toujours suivi son enseignement et…
- Recule je….ça recommence…
Earon se retourne à nouveau. Il fait mine de s’intéresser à la terre devant lui. Myrtille en profite pour essuyer ses larmes discrètement. Il s’assoit derrière elle pour ne pas la mettre mal à l’aise.
- Tu étais vraiment là n’est-ce pas… ?
- Devant Lui ?
- Oui.
- Hmm… Ce que tu as dit…
Myrtille se frotte les tempes.
- Nous sommes…Bel et bien unis… sous les Ombres et leur Père. Nous n’avons plus besoin de nous cacher entre Gris.
- Gris… Alors c’est enfin fini…
- Ne crie pas victoire trop vite. Le nuit n’est pas terminée et….nous sommes dans la grotte des Inouts. Complètements défoncés et à bout de force.
- Nous combattrons ensemble. 
- Au fait Ni’Luna…
- Hmm ?
- Bienvenue parmi nous. »

Myrtille frissonne et regarde son bras incapable de tenir une arme. Dos à dos, ils discutent encore dans la grotte. Elle a des trous de mémoire sur les sujets abordés. Steven est arrivé au bout d’un moment, envoyé par le Capitaine. Elle se souvient que Norae s’amusait à l’embêter. Puis elle a perdu connaissance. Steven lui a renversé de l’eau sur la tête. Elle a fait un bond au-dessus du feu.
Myrtille pose son front contre la paroi de la grotte. Ses jambes ne la soutiennent plus. Son cœur lui serre la poitrine, son souffle la brûle, ses muscles se tétanisent. Elle est en sueur. Elle ne comprend plus ce qu’Earon et Steven se disent.
Elle se laisse glisser le long de la paroi pour s’assoir et tombe à nouveau dans l’inconscience, roulée en boule, les bras autour des jambes et la tête sur ses genoux. Steven ne le remarque qu’au bout d’un long moment. Il la secoue, elle s’écroule au sol sans réagir. Une nouvelle gourde bousillée mais Myrtille ne bronche pas. Steven lui file quelques claques. Seule une pression dans sa blessure à l’épaule la réveille enfin. Earon s’écroule à son tour.

Steven le réveille également. Ils discutent mais Myrtille est à nouveau déconnectée. Elle sait que si elle ne rentre pas prendre un anti poison rapidement, son corps ne tiendra pas jusqu’au lever du jour. Steven fini par partir. Earon et elle sont seuls dans la grotte, incapable de réfléchir correctement, empoisonnés et faible.
Ils finiront par rentrer de la grotte avant la fin de la nuit. Se portant l’un l’autre avec peine. Ils ne sont heureusement tombés sur aucun ennemi. Il avance vers la Maison des Gris pendant qu’elle va chercher une plante dans la pharmacie pour se soigner. Le sang coule à nouveau de son épaule. Profitant de la nuit encore présente, elle cherche de l’aide au feu pour se faire soigner. Kira, une mioche, lui propose son aide gentiment. Une fois soignée, Myrtille se dirige à son tour dans la Maison des Gris. Trouvant sommeil alors que le soleil se lève, elle s’endort à l’aube de sa vie de Grise.

Chapitre 15

Les torches des tours de garde clignotent deux fois chacune. Earon et Myrtille se lèvent d’un bond. Les impurs sont devant les portes. Elle tente de lever le bras gauche pour prendre son arc par habitude mais l’attelle lui rappelle sa condition. Elle grogne. Earon saute sur le toit voisin pour aller voir de plus près ce qu’il se passe. Myrtille descend du toit pour aller chercher les Gris encore présents dans la maison.

« Il y a une alerte ! Signale-t-elle à peine entrée.
Haze, un jeune Gris, se lève d’un bond. Il attrape sa masse, indique les étages d’un signe de tête et fonce dehors. Myrtille grimpe les escaliers deux à deux. Elle frappe à toutes les portes des chambres en répétant qu’il y a une alerte.
- Combien ? Demande Alpharius en sortant, sabre à la main.
Sengal ne lui laisse pas le temps de répondre :
- Restes ici Myrtille.
Elle baisse les épaules et les regarde sortir un par un de la maison, armés d’arc ou de sabres. Fin s’apprête à les suivre, il se retourne sur le pas de la porte.
- Brise vent, tu nous manques. »

Elle incline la tête, touchée et se laisse tomber sur une chaise après qu’il ait refermé la porte derrière lui. Elle regarde autour d’elle. La maison en brique est largement réhabitée par la nature. Les lianes tombent du toit, tressées avec douceur pour leur permettre d’évoluer dans la maison sans les détruire. Les racines des arbres voisins ayant percés le parquet en de nombreux endroits, l’herbe s’est imposée comme un nouveau sol. Les escaliers sont couverts de mousse. Elle revoit encore le sang qui couvrait les murs après sa bataille contre les impurs, son ventre se serre.
Myrtille se lève et monte voir Steven dans sa chambre. Elle glisse son doigt sur une trace de sang qui n’a pas pu être effacée. Une sueur froide coule le long de son dos. Elle toque deux fois, il lui permet d’entrer. Il est à demi assis dans son lit, le drap sur les genoux. Son masque est posé près de la bougie, les ombres dansent dans la pièce, Myrtille les fixe quelques secondes, son estomac palpite. Elle avale lentement sa salive et s’avance vers le jeune Steven.

« Tu m’as couverte…
Elle s’assoit sur le matelas installé en face de lui.
- Oui.
- Pourquoi ?
Steven tourne lentement la tête pour fixer le mur en face de lui.
- Parce que toi tu as couvert Earon.
- Tu… Tu penses que… ?
Myrtille frissonne. Elle passe son doigt sur ses cicatrices aux poignets.
- Je n’en sais rien, si tu veux mon avis, tu devrais demander à Earon ou Norae… Ou bien Tsalmaveth.
- Oui… Mais si ce n’est pas ça et qu’ils en sont pourtant convaincus… ?
Steven croise les bras en grimaçant légèrement.
- Hum, tu veux savoir ce que tu as fait là-haut ?
- Oui… S’il te plait. »
Steven ferme les yeux, Myrtille laisse les ombres frémir sur les murs. Elle tente de se concentrer sur ce qu’il dit pour se souvenir de ce qu’elle a fait.

Steven regarde Myrtille entrer dans le temple. Il soupire, allume la torche de la tour et se pose contre l’un des piliers. Il observe par-dessus la haie. Il reste longtemps ainsi, dans le temple c’est le silence total. Il jette de temps en temps des coups d’œil mais rien ne bouge dans la Brèche. La torche faiblit un peu, les flammes dansent sur le poteau et, en face, seul le taurus est en mouvement. Un mouvement sur sa gauche attire son regard, à peine s’est-il replacé qu’il a en face de lui Myrtille sans son masque.

Elle le fixe, son regard est sombre à travers ses cheveux détachés. Elle reste dans l’ombre de la torche, son couteau étincelle dans sa main droite. Le bras en attelle ne semble plus la gêner. Elle est en position de combat et le jauge en silence. Un silence pesant, tendu. Steven passe lentement une main derrière son dos pour attraper son propre couteau mais elle lève le bras.

Myrtille abaisse à une vitesse ahurissante la lame de son couteau contre l’abdomen du jeune Gris. Steven s’effondre contre la torche dans un gémissement de douleur et de surprise. Elle ne bouge pas, c’est comme si sa main n’avait pas bougée. Pourtant le sang coule entre les doigts de Steven qui continue de la fixer, apeuré.

« Q…Qui es-tu ?
Myrtille lève la lame dans la lumière de la torche, plisse les yeux devant le reflet des flammes et la porte à ses lèvres.
- Je ne suis que la vengeance.
Steven ouvre grand les yeux derrière son masque. Il voit la lame goutter sur son sourire carnassier puis se relever, prête à frapper de nouveau.
- VA T’EN ! MYRTILLE, LES LAISSE PAS FAIRE, BAT-TOI ! »
Myrtille baisse son couteau en souriant toujours, elle se baisse vers lui et, avec une force incroyable, entre ses doigts dans la plaie, faisant taire Steven sous la douleur. Elle se relève lentement et le fixe, ses doigts montent à ses lèvres…

Steven cri comme il le peut. Myrtille arrête son geste, sa posture perd de sa confiance, elle chancelle et cligne des yeux.

Steven tourne lentement la tête vers elle. Myrtille s’est repliée sur elle-même et rentre ses ongles dans ses paumes. Elle ne parvient pas à voir ce qu’il vient de lui raconter. C’est le noir total dans sa tête. Rien, pas un souvenir, pas une bribe d’image. Le récit de Steven lui parait totalement étranger. Elle ne ressent même pas de culpabilité pour ses actes, seulement une grande incompréhension. La culpabilité vient plutôt du fait qu’elle ne se souvient de rien. Elle sent son estomac devenir aussi lourd qu’une pierre.

« Je ne… Je ne me souviens de rien.
- Je n’en parlerais pas. Mais toi, fais-le. »

Elle hoche la tête, se lève et quitte la chambre comme une automate. Dans son esprit, le vide laissé par sa méditation se remplit d’échos du passé où divers voix s’entremêlent.  « Boit son sang, FAIT LE ! » Une fois en bas, elle se dirige vers son arc entreposé sur une étagère. « Tu es faite pour tuer, n’est-ce pas ? Tu aimes ça, avoue-le. » Elle lève la main droite et l’empoigne sans réfléchir. « Allons Myrtille, ne fait pas l’enfant, fait ce que je te demande. Torture-le. » De sa main gauche, elle attrape le carquois de secours posé près de la porte. « Tu aimes le sang, tu aimes les voir en perdre, y goûter, je le sais. » Elle quitte la maison, défaisant son bandage avec les dents. L’attelle tombe dans la ruelle, son bras la chauffe et est tout engourdit. Elle plonge ses ongles dans sa peau pour percer sa carotide et le sang rouge vif coule à flot. Elle tend son bras en avant en grimaçant mais elle a plus besoin de tuer un ou deux impurs que de sentir la douleur.

Les Nashen courent partout, montent et descendent des tours de garde. Elle s’avance doucement vers la grande porte, dehors c’est la cohue. Son ventre pèse lourd encore, elle passe devant les Gris qui ne la reconnaissent pas tout de suite. Ils réagissent trop tard, elle a déjà franchi la porte et avance droit vers les impurs. Elle prend une flèche, bande son arc en grimaçant et tire. « Tu le sais, ma chérie, ce sang est pur, il est plein de force, tu en as envie n’est-ce pas ? » Elle tire, encore et encore, froide, droite. « Et Elle en a envie aussi, tu le sens... Laisse la venir...Ecoute l’appel des Ombres…» Les nashens autour d’elle profitent des blessés qu’elle fait pour terminer de faire fuir les plus fort et d’achever les plus faibles qui ne peuvent plus courir. Vicodyn aura du travail lorsque le soleil sera levé.

Son bras retombe lentement le long de son corps, le sang coule mais ne la fait pas réagir. La faim la tiraille depuis plusieurs jours, ils le savent. Ils restent là à la regarder fixer ce sang qui coule sur ses doigts au rythme de plus en plus lent des battements de son cœur. Elle se penche lentement… Elle reste plantée là, au milieu des corps gémissant, les nashens tentent de la faire sortir de sa léthargie mais rien n’y fait. Earon arrive, elle tourne lentement la tête vers lui. Il tend la main en silence, Myrtille y dépose son arc qu’il passe à son épaule avec le sien puis retend la main pour prendre la sienne.

Elle avance dans le brouillard. Le poids est encore là et la douleur se réveille, lui coupant le souffle. Elle regarde son bras et tourne de l’œil. Earon la rattrape juste à temps, secouant la tête, il la ramène dans la maison des Gris où Sengal soigne à nouveau sa blessure.

« Tu sers les Familles ? C’est ça ton activité ?
- Oui, moi et mes sœurs.
Sarri réfléchit et regarde sa compagne. Alice hoche la tête.
- Venez, j’ai du travail pour vous. »

« Serre les dents, si j’entends un seul cri je te retire ton travail. »
Myrtille serre les dents et retient ses larmes, l’objet en fer chauffé à blanc se colle à la base de sa nuque, marquant un œil sur sa peau, marque de sa nouvelle Famille.

« Torture-le. Il sait forcément quelque chose.
- Sans voir ses yeux ?
- Oui. Exécute-toi ! »

« Myrtille, je crois que je me sens mal…
- Pourquoi Santana ?
- J’ai appris que…Oh, j’ai du mal à m’en souvenir… J’ai si mal à la tête !
- Tu ne devrais pas prendre ce que Monsieur Sarri te donne, c’est mauvais !
- Tais-toi Myrtille !
- Qu’est-ce que tu as vu ? Allons dis-moi !
- Des nashens, nous torturons des nashens… Et ils boivent leur sang ! Oh Myrtille j’ai vraiment la tête qui tourne je vais m’allonger. Il faudra… Il faudra partir hein ? »

« Si tu pars, je les tue.
- Arrêtez de donner toutes ces…drogues à Santana !
Myrtille reçoit une claque monumentale.
- Tais-toi. Ne me donne pas d’ordres, impure ! »

« Lissana, je crois que Santana continue de se droguer en douce depuis que Monsieur Sarri est mort.
- Mais non voyons, elle va bien.
Lissana regarde au loin en souriant.
- Liss… Oui, tu as sans doute raison… »

« Oh… Myrtille… Il fait si noir… J’ai si froid…P…Pourquoi ?
- Ça ira Santana. Je te le promets.
Myrtille essuie le front de sa sœur et regarde la seringue près d’elle. Elle avale lentement sa salive.
- Myrtille… Tu es si jeune et bien plus sage… Je suis fière de toi.
- Merci. Santana, repose-toi… Ca va aller.
Elle prend la seringue d’une main tremblante et inspire. Sa sœur sourit mais son sourire se transforme en grimace. La plaie dans son cou lui fait si mal. Myrtille essuie à nouveau ses larmes et injecte le produit surpuissant dans le corps de sa sœur.
- Ça ira Myrtille… Ça ira… »

« Santana… 
- Chhhht, repose toi Ni’Luna, tu es faible.
- Je ne suis pas… ! »

Elle tente de se lever mais sa tête tourne, elle la laisse lourdement retomber sur les oreillers. Elle est en sueur, fiévreuse, Earon éponge son front comme elle le faisait avec Santana. Elle avale sa salive, les larmes aux yeux. Ses frères lui ont pardonné ses actes mais elle n’a jamais eue l’occasion d’en parler à Lissana avant son suicide. Elle a perdu ses deux sœurs mais elle a trouvé une nouvelle famille. Elle repousse le tissu humide qu’il portait encore à son front et s’assoit tant bien que mal. Il s’assoit à côté d’elle, comme à chaque fois que l’un des deux est blessé, l’entoure de ses bras et lui demande de raconter ce qu’elle se souvient de son enfance, les parties les plus heureuses. Myrtille se concentre alors, elle ferme les yeux et pioche dans le panel de souvenirs qui s’impose à elle, encore mélangé et flou pour certains.

Elle finit par s’endormir au milieu d’une phrase. Earon la rallonge doucement, se lève pour rabattre les rideaux cachant la lumière du soleil qui arrive. Il sort pour aller sur le toit. L’aube colore le ciel d’orange et de rouge, passant par quelques teintes de rose et de mauve. Les étoiles disparaissent, les ombres rétrécissent. Il enfonce ses mains dans ses poches. Debout, face au soleil, il attend que ses angoisses se calment. Comme pour faire écho au grondement sourd qui monte dans sa gorge, un chant au loin perce le silence. Il sourit très légèrement sous son masque. Elle ne reviendra pas, c’est trop tôt. Il passe son pouce nonchalamment sur la mèche de cheveux encore présente au fond de sa poche en laissant les souvenirs de la veille passer dans son esprit pour ne plus les subir.

Il était proche de chez Vicodyn lorsqu’il l’a aperçue pendant l’attaque. Il l’a d’abord prise pour une nashen novice à cause de ses gestes tendus et de son imprudence. Elle ne ratait pourtant presque aucun tir, touchant majoritairement des zones précises pour ralentir ou mettre à terre les fondateurs qui l’entouraient. En quelques secondes il avait reconnu sa technique et sa posture. Il avait aussi remarqué ses gestes détachés et raides, comme chaque fois qu’elle vient de subir un choc qu’elle ne parvient pas à supporter. Le cœur battant, il s’est alors posté plus en hauteur pour la couvrir. Aucun ennemi n’avait pu la toucher cette fois.
Il venait tout juste de la retrouver il n’allait pas laisser qui que ce soit, encore moins elle-même, l’éloigner de lui. Il l’avait entendu délirer toute la nuit sur sa période sous les ordres de Sarri. Pendant qu’il lui épongeait le front, il avait compris que la culpabilité pesait encore sur ses épaules. Son fantôme n’était pourtant plus là depuis la nuit dernière, il s’en était assuré. Il était peut-être plus fort qu’il ne le pensait… Elle en avait peut-être d’autres dont elle ne lui a pas encore parlé… Il était passé d’une idée à l’autre pendant toute la nuit, refusant d’en admettre certaines.
Elle avait bu du sang pendant sa captivité et il savait tout ce que cela pouvait impliquer. Il espérait qu’elle ait de la chance et qu’elle ne traverse pas ce par quoi il était lui-même passé.

Après avoir pris la décision de découvrir tout ce qui peut lui passer par la tête, il ajuste son masque et, lorsqu’il ne peut plus supporter la lumière et la chaleur, descend rejoindre sa femme pour se reposer.

« Recommence. Encore ! Plus fort, moins loin. Remet ton bras, frappe ! Bon sang Fin, concentre toi !
Fin soupire et baisse son regard vers son entraîneur. Il ne cesse de jeter des coups d’œil à la fenêtre de leur chambre, inquiet. Zeven grogne, il se remet en garde et tente de se concentrer.
- Plus bas tes coups ! Moins vite, anticipe le geste… »

Fin s’assoit, mort de fatigue, ses muscles sont douloureux et le soleil de la fin de journée tape encore fort, il est en nage. Il retire son masque et le pose au sol à côté de lui près de son épée. Son regard fixe encore la fenêtre là-haut. Il sort un vieux tissu sale duquel il déroule une lame rougie par le sang séché. La garde est légèrement plus courte que d’ordinaire et adaptée à la main gauche, sa couleur unique bleue foncée traversée de lignes blanches entrecroisées formant une plume rend l’arme difficile à confondre avec une autre.
Il se souvient des jours qu’il a mit à fabriquer cette arme pour leur cadeau de mariage. Elle rageait telle une enfant qu’il lui fasse tant de secrets. Il avait payé cher les matériaux et ensuite passé ses journées à tailler la garde, fendre la lame et la fixer ensuite. Le sang pur est reconnaissable, les gouttelettes argentées qui se forment lorsqu’il sèche permettent de ne pas le confondre avec le sang impur. Fin joue avec la garde entre ses doigts, faisant refléter les petites gouttes grises qui parsèment la lame.
Son esprit est concentré sur les derniers évènements. Il cherche comment le couteau de Myrtille a pu atterrir de l’autre côté de la haie d’enceinte du poste. Il la replace dans le tissu, l’enroulant minutieusement. Sa décision est prise, l’eau enlèvera le sang sur la lame et elle retrouvera sa place dans le fourreau accroché à la ceinture de sa binôme. Elle lui dira lorsqu’elle sera prête. Ramassant son masque et son épée, il se dirige vers la maison des eaux où les nashens ont mit en place tout un système d’eau courante permettant de se laver. Il a bien besoin d’une remise en forme avant la chasse prévue cette nuit.

La chasse, moment fort des nuits des Gris. Fin ajuste son sabre à sa ceinture et l’arc à son épaule. Le carquois est déjà bien fixé contre son sac à dos. Il met ses gants, enfile son masque et relace ses bottes. Myrtille le regarde, assise à la table, silencieuse. Il lève les yeux vers elle et s’avance. Fin sort de son sac le tissu abîmé duquel il enlève la lame lavée et affutée qu’il pose sur la table. Myrtille ouvre la bouche, paniquée. Il pose une main sur son épaule et secoue la tête. Elle incline la sienne avec reconnaissance. Une larme roule sur sa joue, il la prend dans ses bras. Myrtille s’accroche à son sac comme une bouée de sauvetage.

« Brise vent, ça va aller.
- Fin… Je veux chasser.
Il la repousse doucement, les mains sur ses épaules et la fixe.
- Tu ne peux pas. Ton cas s’est déjà aggravé la nuit dernière à cause de ton entêtement. C’est trop important, Myrtille. Tu ne peux pas recommencer.
- Je t’en prie, je veux venir !
- Tu sais te battre de la main droite ?
Myrtille grogne et baisse la tête.
- Non.
- Alors tu ne viens pas. Te battre avec un point faible c’est idiot et tu le sais.
- Oui, tu as raison. J’abandonne. »

Elle se rassoit et le regarde terminer ses préparatifs. Zeven descend, accompagné d’Earon et de Sengal. Tous la saluent avec un peu de réserve, ils savent combien son envie de chasser est importante. Earon glisse sa main dans sa nuque et l’embrasse sur le front. Il attrape son masque près de la porte et le fixe en silence. La tension monte entre eux, l’adrénaline coule dans leurs veines, Myrtille ressent un léger frisson suivit d’un courant électrique qui la traverse d’une main à l’autre. Elle ferme le poing droit et se concentre, heureusement personne ne l’a remarquée. Ils quittent tous la maison en silence. Elle se lève et renverse une étagère pour calmer la tension qu’elle ressent.

« Ces livres ne t’ont rien fait, To Sa. »
Myrtille se retourne en sursaut, Tsalmaveth, la chamane, la regarde du haut des escaliers.

Fin et le groupe se dirigent en silence vers le nord. Il regarde autour de lui, la nuit est sombre mais tout autour de lui il sent les Gris. Ils sont là, ils sont ensemble. Une seule personne qui avance d’un même pas, couvrant toute la zone. Ils sont là, toujours, juste à côté. Il court, ils suivent. Il saute, avance, contourne, il les voit toujours du coin de l’œil.
Arrivés près du camp, le sabre en main, d’un seul regard, il hoche la tête. Ils font le tour de l’autre côté pendant que Fin longe le mur sans bruit accompagné de Sengal, la nuit les accompagne. Ils sentent sa force autant que la leur et que les ombres qui les entourent. Ils ne sont plus, ils sont l’ombre, ils sont la nuit, vengeance, sauvagerie, sang ! Les coups volent, les flèches frémissent, les cris fusent. Tout s’enchaîne et c’est une danse à quatre qui commence. Partenaires, enchainement de frappes, l’un tire, l’autre entaille. 
Ils sortent, vainqueurs, le cri, toujours le même, résonne dans leurs entrailles et les fait sourire : Craignez la nuit ! Car la nuit est nashen ! Et c’est en frères qu’ils combattent, en frères qu’ils avancent et en frères qu’ils lèvent leurs armes vers le ciel pour saluer les ombres.

La pluie se met à tomber à verse. Myrtille regarde la fenêtre, inquiète. Elle regarde Tsalmaveth qui recoud une veste en silence. La jeune femme lève les yeux de son travail et sourit. Myrtille baisse les yeux sur le sweat qu’elle vient de finir de réparer et elle grogne en le posant sur la table.

« Je déteste ça. Je ne suis pas faite pour…
- Être une femme ? Vous faites pourtant du bon travail.
Tsalmaveth se lève et viens observer le travail de Myrtille qui pose son matériel sur la table.
- Je sais. J’ai eue l’éducation pour. Mais je préfèrerais être avec eux.
- Ils vont revenir, ne t’inquiète pas.
Elle retourne s’assoir en face de la jeune grise après avoir posé quelques secondes sa main sur son épaule pour la rassurer.
- Ce n’est pas ce qui me préoccupe.
Myrtille ferme la bouche, surprise de sa franchise.
- Quoi donc ? »
La jeune femme reprend son travail. Myrtille lève les yeux vers l’étage où est Steven.

Myrtille ferme les yeux. Elle sait qu’après le M’Zabibu pour aller chercher l’âme de Steven dans le royaume des Ombres Earon n’en est pas revenu seul. Norae le suivait. Au début Ombre parasite, elle était près de lui, le troublant, puis elle a fini par prendre possession de son corps la nuit. Myrtille l’a rencontré comme ça. Aujourd’hui c’est son Ombre Gardienne. Une âme d’enfant avec une sagesse d’Ombre qu’elle ne contrôle pas toujours.

« Tsalmaveth, quel est le rituel pour voir les ombres qui nous entourent ?
- Hum laisse-moi réfléchir…
Au même moment, une petite fille trempée jusqu’aux os entre en trombe dans la maison.
- Calico ?
Myrtille se lève et l’entoure dans un plaid. L’enfant aux cheveux noirs se serre contre sa hanche et l’entoure de ses bras.
- Je savais que tu reviendrais ! Tebryin ne te trouvait pas mais je savais que tu étais vivante !
La petite fille fond en larmes. Myrtille s’agenouille et la prend dans ses bras. Elle caresse tendrement ses cheveux.
- Je suis là. Allons, calme-toi.
Calico hoche la tête et se recule un peu. Elle sèche ses larmes et lève les épaules pour faire comme une grande. Myrtille sourit.
- Je me suis perdue dans les plaines. Tebryin m’a aidée à revenir mais j’ai pas été là à ton arrivée.
Elle se blottie contre Myrtille.
- Ce n’est rien, j’ai dormit plusieurs jours…
- Tu m’as manquée !
- Toi aussi, tu m’as manquée. »

Myrtille lui prend la main, ne pouvant pas la porter, et la guide jusqu’à sa chaise. L’enfant monte sur ses genoux. Elle la serre contre elle et la berce un peu. Tebryin… l’Ombre qui est constamment avec Calico. C’est ce qui lui donne le droit d’entrer ici et d’être conseillée par Myrtille et accessoirement surveillée par les autres Gris.
La présence de Tsalmaveth et de Calico lui rappellent alors le rituel des flammes noires. Les souvenirs ressurgissent si fort qu’elle se retrouve comme transportée dans son corps du passé et revit le rituel pour la seconde fois.