mardi 30 octobre 2018

Chapitre 6


Earon fixe le ciel, allongé seul sur le toit d’une maison au milieu de la Brèche. Il est parvenu à emmener Myrtille jusque dans son lit sans qu’elle n’ouvre les yeux un instant. Il n’a pas pu, pourtant, rester auprès d’elle.
Son esprit est rempli d’émotions diverses qui se bousculent. Il ne sait plus totalement à quoi s’en tenir ni ce qu’il ressent. Afin d’éviter de la réveiller en se retournant sans cesse dans son propre lit à côté d’elle, il a préféré sortir prendre l’air.

Une ombre apparait sur sa droite. Intrigué, il tourne la tête et lève les yeux pour regarder derrière lui. Sengal se tient debout près de lui sur le toit, regardant nonchalamment vers l’horizon.

« La nuit n’est pas encore terminée.
Dit-il, comme s’il se parlait à lui-même. Earon sourit sous son masque sans répondre.
- Le ciel est clair mais on dirait qu’une tempête fait rage.
Earon relève la tête vers son frère avant de l’enfoncer entre ses épaules.
- Peut-être qu’une chasse permettra de calmer ces ombres qui tourbillonnent, tu ne penses pas mon frère ?
Sengal le regarde. Il ajoute encore :
- J’ai entendu dire qu’un groupe de fondateurs allait souvent attaquer le village aux Pâtis.
Il lui tend son carquois et son arc, attendant patiemment sa réponse.
- Peut-être que…oui. »

Earon se relève vivement. Il attrape ses armes et les positionnes dans son dos. D’un simple hochement de tête, il indique à son ombre jumelle qu’il est prêt. Ils partent alors de la Brèche en direction du village des Neutres pour une chasse comme il les aime.

Sengal a toujours été un combattant qu’Earon apprécie accompagner. Lorsqu’ils chassent ensemble, leurs mouvements sont coordonnés, fluides, sans qu’ils aient besoin de se dire quoi que ce soit. C’est pour cela que depuis le premier combat en sa compagnie, Earon le considère autant comme son frère que comme son ombre jumelle.
Il est là, toujours, juste à côté. Earon court, il suit. Il saute, avance, contourne, il le voit toujours du coin de l’œil. Arrivé près du village, le sabre en main, d’un seul regard, il hoche la tête. Ils localisent le groupe de fondateurs qui se dirige vers le bar pour y imposer leur loi. Il fait le tour de l’autre côté pendant qu’Earon longe la vieille église sans bruit, la nuit les accompagne. Il sent sa force autant que la sienne et que les ombres qui l’entoure. Il n’est plus. Il est l’ombre. Il est la nuit. Vengeance, sauvagerie, sang ! Les coups volent, les flèches frémissent, les cris fusent. Tout s’enchaîne et c’est une danse à deux qui commence. Partenaire, enchainement de frappes, l’un tire, l’autre entaille. 
Ils s’éloignent aussi vite qu’ils sont arrivés, vainqueurs. Aucun neutre n’aura été blessé pendant cette danse. Les fondateurs encore en vie se sont enfuis aussi vite qu’ils le pouvaient.

Le cri, toujours le même, résonne dans leurs entrailles et les fait sourire :

« Craignez la nuit ! Car la nuit est nashen ! »

Et c’est en frères qu’ils combattent, en frères qu’ils avancent et en frères qu’ils lèvent leurs armes vers le ciel pour saluer les ombres.

Des murmures. Myrtille entend des murmures au rez-de-chaussée. Elle se lève lentement de son lit pour s’approcher de la porte et distinguer les paroles.

« Elle est là ? Tu en es sûr ?
- Ouais, je te dis qu’elle est là. Ils l’ont attachée dans la pièce du fond.
- Tu es sûr qu’on peut vraiment faire ça ?
- Nan. Mais j’en ai envie, qu’est-ce que ça change hein ? »

Elle fronce les sourcils et se retourne. Elle se voit alors inconsciente, attachée à un ensemble de tuyaux qui passent le long du mur du fond. Son cœur s’emballe. Elle tente de se réveiller mais quelque chose la garde dans un sommeil profond. Un produit peut-être. Elle frissonne.

Trois hommes rentrent dans la pièce en tenant une chandelle et divers armes non tranchantes improvisées. La lumière soudaine provoque son réveil. Elle se redresse vivement pour tenter de se lever et de se mettre en position défensive mais n’y parvient pas. Ses chaines la retiennent en arrière.
Myrtille se voit, impuissante, lever son visage et les regarder en dissimulant comme elle peut la peur qui lui noue le ventre.

« Tu vois, je t’avais dit qu’elle était là.
- Ouais. C’est donc toi la femelle des Gris. Tu sais qui t’as tué dans ta sale baraque ?
L’un d’eux s’approche tout en faisant balancer son bâton dans sa direction pour la menacer. Elle avale sa salive et serre les poings et tente de tirer sur ses chaines pour s’en défaire, produisant un son métallique qui résonne dans le bâtiment.
- Ton honneur, peut-être ?
Ils grognent et s’approchent tous ensemble de plus en plus près.
- Allez les gars, vous allez pas frapper une femme attachée quand même. »

Elle reçoit un coup violent sur son épaule droite qui la fait taire. Elle pose un genou à terre sous la puissance du coup mais garde tout de même la tête levée vers eux. Myrtille se voit disparaitre derrière les trois hommes. Elle n’entend plus que les coups et le son métallique des chaines qui frottent contre le tuyau.

Elle entend son cri qui se répercute sur les murs du bâtiment.

Myrtille se réveille en sursaut dans son lit. Elle pose une main sur son cœur battant en fixant le plafond de sa chambre. Elle est en sécurité. Elle est rentrée. Tout va bien. Elle se force à respirer lentement pour calmer ses émotions et ne pas craquer à nouveau. Quelques larmes roulent sur ses joues mais elle parvient à éviter la crise.

Une fois calmée, elle remarque qu’Earon n’a pas dormit là. Grimaçant légèrement sous la douleur provoquée par son attelle et les quelques crampes encore présentes, elle se lève de son lit. Les chambres sont toutes vides. Elle descend lentement au rez-de-chaussée et y trouve de quoi manger.
Tout en grignotant, elle fait le tour de la pièce pour aller glisser ses doigts le long de son arc réparé. Le bois bleu-sombre brille doucement sous les quelques rayons de lumière qui traversent les rideaux. Le bras gauche en attelle ne lui permettra pas de tirer à l’arc avant un moment. Ce n’est pas l’envie qui lui manque d’entendre à nouveau le son de la flèche qui traverse l’air et se plante dans la cible.
Un léger frisson lui parcours le dos. Elle remonte dans sa chambre pour mettre sa tenue de combat. Elle ne peut pas se permettre de sortir en plein jour sans cette tenue. Elle souhaite éviter qu’ils la voient aussi faible. Elle met du temps avant de trouver un moyen de passer son bras dans la manche sans grimacer de douleur. En nage mais habillée, elle redescend et sort de la maison en refermant doucement la porte. Le vent frais du début de journée la fait sourire. Elle vérifie que son masque est bien accroché avant de se diriger vers le feu de camp.

Arrivée près du cercle de pierres que les membres du clan des bienfaiteurs se chargent de remplir en bois pour la nuit prochaine, elle s’arrête pour observer leurs déplacements. L’épaule gauche appuyée sur un pan de mur juste derrière leur place habituelle aux conseils, elle regarde tout autour. Son esprit enregistre les lieux à nouveau, comme si elle les redécouvrait après une très longue absence et que tout avait changé.
Pourtant, rien n’a changé. Hormis peut-être un détail. Fronçant les sourcils, elle se déplace lentement vers ce qu’il reste d’un corps calciné suspendu non loin des portes. Elle s’arrête assez loin du corps pour ne pas sentir son odeur mais assez près pour distinguer les détails de ses blessures.

« C’est le nashen qui nous a appelés pour un incendie à l’entrepôt d’armes.
- Hmm ?
Myrtille tourne légèrement la tête sur sa gauche et salue le jeune Yama d’un signe de tête. Il joint ses mains devant son visage pour lui retourner son salut.
- Le jour où ils t’ont emmené. C’est ce nashen qui a alerté tout le monde pour qu’on aille à l’entrepôt d’armes.
- Ah bon ? Il nous a trahis ?
Yama opine.
- Je ne sais plus lequel des Gris Forestiers a passé le plus de temps à le torturer. C’était impressionnant ! »

Elle n’entend pas le reste de ses explications. Le monde se met à tourner autour d’elle. Son estomac se noue. Un sifflement lointain résonne à nouveau dans sa tête. Elle lève une main et s’écarte en titubant vers un coin entre deux maisons pour vomir son repas. Ses jambes se mettent à trembler. Elle tente de se concentrer sur la fraicheur du mur sous sa main mais les souvenirs s’imposent dans son esprit comme des serpents.

« Tu le tortureras de tes mains. C’est ton seul moyen de contrôler la date de sa mort, après tout. »
Le limier lève la tête de l’homme en face de Myrtille en le tirant par les cheveux, plaçant sa lame contre sa gorge. Elle le reconnait aussitôt et toutes ses défenses tombent. Les cheveux blonds tombent autour de son visage carré à la peau brune. Il garde la tête levée, le couteau entaille légèrement la peau de son cou, un mince filet de sang coule devant ses yeux paniqués. Elle tente de se lever mais la corde serre son cou, elle s’assoit dans un cri étranglé.
« Je ne peux pas…
Murmure-t-elle. L’homme caresse la joue de son otage avec le plat de sa lame.
- Tu préfère le voir mourir ? »
Il lève son arme et imite le geste de la planter dans son abdomen, la faisant hurler.

Il éclate d’un rire sournois et l’attache contre la cage à vingt pieds d’elle. Il annonce qu’elle commencera les tortures dans l’après-midi ou alors il le tuera. Lorsque la porte de la cage se referme dans un grincement et qu’elle l’entend s’éloigner, elle tourne la tête vers le nashen attaché.

« Ca ira, Nam’sa, ne t’inquiète pas. Je ne t’en veux pas. »
Dit-il.

Elle sent les larmes couler sur ses joues. Myrtille rentre ses ongles dans la terre, secoue la tête, refusant de le fixer. Il est loin pourtant elle le sent près elle, autour d’elle, son calme lui fait encore plus mal.

Myrtille cligne des yeux. Elle est devant la porte de la Brèche, sur le point de sortir quand Earon entre au même moment. Encore sous le coup de son souvenir et de ses émotions, elle tend lentement la main vers lui. Elle est prête à le voir disparaitre comme chaque fois qu’elle rêvait de lui là-bas. Pourtant, sa main rentre en contact avec le tissu de sa veste. Elle ressent les infimes mouvements de sa respiration sous ses doigts.

« Tu… Tu es bien là…
Earon penche la tête sur le côté. Sengal arrive derrière lui et les observe.
- To’sa, tout va bien ?
Elle regarde vers Sengal et retire automatiquement sa main du torse d’Earon. Elle serre ses doigts contre sa poitrine. Son souffle devient de plus en plus rapide.
- Je… Je ne sais plus…
- Myrtille !
Yama arrive en courant derrière elle. Il s’arrête devant les Gris et les saluts tout en reprenant son souffle.
- Qu’est ce qui se passe ?
Demande alors Earon brutalement au jeune frère.
- Ca je sais pas. Elle a vu le corps du traitre et ensuite elle est devenue toute bizarre. Elle est partie en courant vers la sortie.
Myrtille tourne lentement la tête vers Yama. Elle vacille légèrement. Sengal pose sa main sur son épaule pour la soutenir sans le montrer. Elle sursaute. Il incline la tête vers Yama.
- Ça ira, To’Eni. Nous allons nous en occuper. »

Le jeune frère hausse les épaules et s’éloigne pour retourner à ses occupations en sifflotant. Ses deux frères Gris se mettent chacun d’un côté de Myrtille et la soutiennent en silence jusqu’au retour dans la maison. Une fois rentrés, Sengal retire son masque puis vient retirer en douceur celui de Myrtille.
Elle ne parvient pas à parler. Sa main est toujours collée contre sa poitrine. Elle sent son cœur s’emballer et son esprit lutter contre ses souvenirs. Elle cligne des yeux, regardant un à un ses frères présents. Elle sent qu’elle se met à trembler légèrement. Elle tend sa main vers Earon qui la prend et l’attire dans ses bras sans un mot. Sengal s’éclipse discrètement vers sa chambre.

Menthe sauvage… Elle ferme les yeux et tente de se concentrer sur sa présence pour ne pas sombrer à nouveau.

« C’est fini Myrtille. Tu es en sécurité maintenant. Tu es auprès de ta famille. »

Ces simples mots brisent toutes ses maigres défenses. Elle ne tient plus debout. Earon suit son mouvement lorsqu’elle tombe à genoux, la gardant contre lui. Elle craque à nouveau, laissant s’échapper un flot incontrôlable de larmes. Il la garde ainsi jusqu’à ce qu’elle parvienne à se calmer puis l’aide à monter dans leur chambre pour qu’elle se repose.

Chapitre 5


Myrtille ouvre les yeux. Sa fièvre est tombée, sa gorge n’est plus sèche et elle se sent bien. Elle ne sait pas combien de jours sont passés depuis que Sengal l’a portée hors de cette montagne. Elle lève une main et la tourne, bouge ses doigts et la laisse retomber en soupirant. Ce simple effort la laisse fatiguée mais rassurée, elle a le contrôle.
Elle regarde à sa gauche. Earon est là, endormit assit contre le mur. Son torse se lève et se baisse au rythme lent de sa respiration. Son cœur s’emballe, elle est à la maison. Elle frissonne devant le retour de ce sentiment de sécurité qui vient doucement l’envelopper. Un sourire s’affiche sur ses lèvres et elle referme les yeux. Le sommeil la gagne tranquillement.

Il fait nuit quand elle ouvre à nouveau les yeux. Elle est seule dans la chambre.

Son bras gauche est lourd, elle lève un peu la tête et vois une attelle autour de son bras. Fronçant les sourcils, elle tente de se souvenir et le bruit de l’arc qui casse lui revient aux oreilles. Sa tête retombe mollement sur le lit dans un soupir. Elle fixe le plafond. Le silence bourdonne à ses oreilles, elle finit par percevoir un sifflement lointain qui augmente petit à petit. Elle ferme les yeux, se concentre pour faire abstraction de ce bruit mais il reste, insistant. Ce n’est pas un sifflement, c’est un cri. Elle tressaille et cherche l’origine du cri mais il ne semble pas venir de quelque part dans la maison ou dehors. Il vient de sa tête. Quand elle s’en rend compte, le cri s’éteint d’un seul coup. Le silence retombe.

Fin entre dans la chambre, il tient un ragout fumant, la lumière de la bougie fait flotter des ombres sur le plafond, les murs et autour de lui. Myrtille regarde rapidement les ombres et le fixe. Juste derrière son épaule, elle voit le visage sanglant du fantôme de son ami. Son cœur se serre brutalement. Elle se redresse et s’assoit contre le mur pour s’éloigner de cette image. Fin s’approche doucement, les ombres changent de place et le fantôme disparait.
 Elle avale sa salive lorsque l’odeur du ragout lui parvient. Cela fait trop longtemps qu’elle n’avait pas senti une telle odeur et la nostalgie ressentie en cage lui revient. Elle sait qu’elle est libre, elle est dans sa maison, en sécurité. Elle serre les draps entre ses doigts. Son esprit flotte un instant. Le monde autour d’elle se met à tourner.

Elle est en sécurité.

Les larmes lui montent aux yeux, lorsque Fin s’assoit près d’elle sur son lit, elle fond littéralement en pleurs. Il pose le ragout près du lit et lui prend la main. De l’autre il pose la bougie au sol et caresse son front. Elle se tourne vers lui, se recroqueville et pose sa tête sur son genoux. Fin passe son bras sous sa nuque et la soulève pour la serrer contre lui. Elle niche son visage au creux de son épaule avant de laisser ses émotions s’exprimer. Il est l’un des deux seuls devant qui elle se laisse pleurer sans se sentir honteuse. Son binôme partage sa vie comme une seconde partie d’elle-même. Elle profite donc qu’ils soient seuls pour lâcher sa peine, sa colère, sa douleur et sa peur entre ses bras.
Ses cris se répercutent en écho dans la pièce, elle s’en fiche. Agrippée au Sweat de Fin, son corps replié sur lui-même, la tête enfouie dans son cou, elle l’inonde de ses larmes jusqu’à ce que le flot se tarisse et qu’elle retrouve son calme. En bas, lorsque le silence tombe sur la chambre, ils entendent un objet lourd se briser. Myrtille se replie un peu plus contre Fin qui, tendant l’oreille, reconnait la voix de leurs frères et la rassure. Elle ferme les yeux pour calmer les battements de son cœur, hoche la tête et recule un peu pour s’assoir dos au mur.
Fin se réinstalle correctement à côté d’elle avant de lui tendre son assiette de ragout. Restant auprès d’elle, il lui raconte ce qu’il s’est passé à la Brèche pendant son absence.
Earon entre dans la maison. Sengal et Zeven discutent autour de la table avec le capitaine Alpharius. Il se laisse tomber sur une chaise et glisse une main fatiguée sous son masque. Il a trop peu de sommeil pour rester calme et le long sommeil de Myrtille l’inquiète constamment.
Il a passé quatre jours à la veiller avant que ses frères décident de se relayer et lui imposent de quitter la chambre. Ils ont dû préparer leurs arguments car il n’est pas parvenu à leur faire changer d’avis. Ils lui ont interdit de retourner la veiller tant que ce ne serait pas à nouveau son tour. Cela ne lui a pourtant  pas permis de trouver le sommeil plus facilement.

C’est le jour de Fin, son binôme, il espère qu’elle a ouvert les yeux et en même temps ça le rend un peux jaloux. Il ouvre la bouche pour parler quand des pleurs et des cris leur parviennent d’en haut, les faisant tous sursauter. Earon se lève d’un bond, Sengal l’imite et pose sa main sur son épaule pour l’empêcher de monter. Il serre les poings et tourne lentement sa tête vers son ombre jumelle. Les cris de rage, de douleur et de peine lui déchirent le cœur. La savoir réveillée le rassure pourtant mais plus elle cri et plus la colère monte.

« Elle doit expulser sa douleur, mon frère.
- Je sais. »
Il répond avec un ton cassant, incapable de dire un mot de plus. Il se contente de regarder Sengal qui comprend ses excuses et hoche doucement la tête.

Il inspire pour se calmer mais la colère accumulée ces derniers jours lui monte à la gorge. Il ne supporte plus les regards compatissants et angoissés de ses frères lorsqu’il revenait à la maison des Gris après plusieurs jours d’absence.
Il ne supporte plus de devoir rester auprès de son lit alors qu’elle ne se réveille pas.
Il n’a pas supporté ses cris et le poids lourd de sa culpabilité qu’ils ont engendré.

Il aurait dû continuer de garder l’espoir. Au lieu de ça, dès le début il s’est demandé s’il ne devait pas abandonner. Plus le temps passait et plus il la croyait morte et a passé son temps à critiquer Fin et Dampen qui ne cessaient de la chercher. Il en a voulu à Dampen lorsqu’il a disparu, pensant qu’il préférait ne pas rentrer plutôt que de rentrer sans elle. Il en voulait à Fin de rallumer sans cesse cet espoir qui s’éteignant aussitôt en lui chaque fois que son frère revenait à la Brèche toujours seul et vain de ses fouilles. Cette colère se retourne maintenant contre lui et l’étouffe.

Lorsque plus aucun son ne provient de la chambre là-haut, il ne parvient plus à contenir ses émotions. Il soulève sa chaise pour la lancer contre un meuble de l’ancien temps qu’ils n’ont jamais pu retirer de la maison et qui les nargue jour après jour. La chaise éclate et le meuble bascule en avant pour s’écraser au sol dans un bruit assourdissant. Le meuble aurait servi de stockage pour la nourriture parait-il, se servant de la « Tek » pour la garder fraiche et saine. C’est ce que l’on peut encore vaguement lire au dos de la machine entre les étranges mécanismes.

Il inspire une grande bouffée d’air et fixe ses frères qui se sont tous levés face à son geste brusque. Il se dirige vers sa place habituelle contre le mur sous l’escalier et s’y laisse tomber pour s’assoir. Fin descend quelques instants plus tard pour les informer de son état.
Il se relève et se dirige vers l’escalier quand son frère l’arrête pour lui dire qu’elle était fatiguée et qu’il la trouverait sans doute déjà endormie.
Sans un mot, la gorge nouée par la culpabilité et sa colère, il attrape son masque, sort de la maison et monte sur les toits. Là-haut, il s’assoit en tailleur et sort son matériel pour faire une poupée de chiffon. Trop occupé à tenter de contrôler ses émotions, il n’a pas vu le reflet violet disparaitre derrière la fenêtre dans son dos.

Incapable de se rendormir et Fin étant descendu, Myrtille sent de plus en plus le poids de la solitude revenir s’immiscer dans son esprit. Elle regarde les ombres danser sur le plafond à la lumière du reste de bougie posée en face de son lit. Elle se demande pourquoi Earon n’est pas monté la voir. Peut-être qu’il est sorti chasser et qu’il n’est pas encore revenu. Son cœur se serre, elle ressent le besoin de ne plus être seule dans cette pièce.

Elle utilise les forces gagnées pendant son repas pour se lever et aller regarder la lune à travers les volets. La porte claque en bas en même temps qu’elle ouvre les volets pour sentir le vent frais. Elle voit Earon grimper sur les toits. Dans ses gestes rapides et son attitude repliée elle comprend tout de suite ses états d’âmes. C’est de lui que venait le bruit sourd en bas. Il l’a entendue craquer.

Le plus discrètement possible, elle ferme les volets et s’assoit au sol pour réfléchir. Il ne lui faut pas longtemps pour céder à son instinct qu’elle écoute maintenant plus que jamais. Myrtille grimace en se levant, son bras gauche pèse lourd avec l’attèle, ses jambes tremblent encore énormément. Elle a passé un temps considérable sans se tenir debout et encore plus sans marcher.

Pas après pas, elle avance vers la porte mais c’est trop lentement à son goût. Elle rage contre son manque d’énergie sans cesser de faire un pas après l’autre. Une fois à la porte, elle l’ouvre lentement, tend l’oreille et sait qu’ils sont tous en bas.

Myrtille inspire et descend les marches en prenant appuis contre le mur. Les marches non entretenues depuis des années craquent et tremblent, elle n’a jamais été vraiment rassurée de monter ou descendre ces escaliers pourtant elle arrive en bas. Elle est en nage, ses jambes tremblent, elle se redresse face à ses frères et leur sourit à travers les mèches de cheveux qui lui tombent sur le visage. Fin se lève et s’approche, elle tend le bras pour l’empêcher de l’aider, Sengal hoche la tête. Elle lâche le mur et, lentement, titubant puis de plus en plus facilement, avance vers eux. Leur regard la soutient mieux qu’une quelconque béquille.

« Je dois aller voir Earon.
Dit-elle d’une voix rauque.
- Va, To’Nam’Sa, il est dehors. »
Répond Sengal.

Elle incline la tête et se retourne vers la porte. Elle pose la main sur la poignée et quitte la maison debout et seule. Libre et vivante. Elle savoure pendant un petit moment le vent qui caresse sa peau et joue dans ses cheveux. Son esprit s’apaise de plus en plus pendant qu’elle avance dans la ruelle puis sur le chemin plus fréquenté au cœur de la Brèche. Elle s’appuie de temps en temps contre les murs lorsque son pas devient moins sûr.

Elle voit presque double quand elle arrive enfin près de l’échelle. Prenant appui sur son seul bras valide et ses dernières forces, elle monte rapidement sur le toit. Essoufflée, en nage, titubante, elle s’assoit face au pont qui relie le toit à celui où Earon est assis. Elle l’observe un moment. Il est concentré sur une poupée de chiffon, les épaules basses, le visage penché sur ses mains. Elle pourrait lui dire qu’elle est ici et il la rejoindrait, elle le sait.
Lorsqu’elle ouvre la bouche pour l’appeler, sa tête tourne et son estomac est sur le point de renvoyer le ragout qu’elle a avalé plus tôt.
Myrtille avale sa salive et se met à quatre pattes pour traverser le pont pas plus large qu’elle. Arrivée au milieu, elle s’arrête, cligne des yeux et secoue la tête pour que sa sensation de vertige disparaisse, en vain. Son bras droit se met à trembler, elle sent son corps vaciller vers la gauche, là où elle n’a aucun appui.
D’une voix faible et rauque, elle appelle à l’aide le seul Gris qu’elle souhaite rejoindre.

« Earon… Je… »
Son bras flanche, elle tombe vers la gauche dans un cri étouffé.

Un bras solide passe sous sa taille et la retient de justesse. Lentement, il la replace à genoux face à lui. Il reste un moment ainsi à la regarder sans bouger ni dire un seul mot. Il se lève ensuite tout aussi doucement afin de ne pas faire basculer le pont puis la prend dans ses bras. Les craquements du bois ne lui font pas peur, il la serre contre lui et l’amène sur le toit. Elle entoure ses bras autour de son cou et blotti son visage contre son torse. Odeur de menthe sauvage. Elle sourit.

Il s’agenouille pour qu’elle puisse s’assoir, elle le lâche à contre cœur. Elle se positionne en tailleur en grimaçant légèrement, ses jambes sont faibles et ses crampes douloureuses. Il glisse ses doigts sous une mèche de cheveux qui dissimule ses yeux, il joue un peu avec, fixant ses reflets violets qui lui ont tant manqués.
Elle baisse les yeux, fixant le sol plus bas, sa main droite agrippe son genou dans un frisson. Ce geste lui a toujours fait perdre ses moyens. Il glisse ensuite la mèche derrière son oreille puis lui fait relever la tête pour la regarder à travers son masque.
Elle inspire, glisse sa propre main sous son masque et ferme les yeux. Ses doigts frôlent sa joue lentement, son pouce effleure ses lèvres entrouvertes et elle sent son sourire, elle le voit. Elle sourit à son tour, elle sent alors la tension dans son sourire, sa culpabilité. Elle soupire et laisse retomber sa main.

« Tu ne dois pas t’en vouloir, Earon, Ni’Aya. Arrête ça.
Il baisse la tête, complètement perdu. Lorsqu’il lui répond, son cœur s’emballe au son de sa voix qui lui a tant manqué.
- Je t’ai crue morte et je n’ai pas assez cherché… Je ne t’ai plus cherché Ni’Luna. Je t’ai abandonné. Toi tu m’as toujours cherché quand… Tu n’avais pas perdu espoir alors que moi….
Myrtille secoue lentement la tête.
- Earon, je ne t’en veux pas.
Il relève les yeux, surpris par ses paroles.
- P…pourquoi ?
Elle sourit et repasse ses doigts le long de son visage qu’elle connait par cœur. Il frissonne doucement à ce contact.
- Parce que tu as quand même fini par venir. C’est tout ce qui compte. Tu as entendu mon appel… »

Earon frissonne lorsqu’il repense au soir où son cri lui est parvenu.

Quand il est rentré avertir ses frères il a eu du mal à les convaincre que c’était bien elle. Car il n’avait plus entendu sa voix une fois près du mur. Cela pouvait être un piège, pourtant il sentait qu’elle était là-bas, chez les Fondateurs. Ils ont discutés toute la nuit restante et ils ont fini par le croire.
Faire tomber les fondateurs un par un pour avoir à chaque fois qu’une bribe d’information sur sa présence dans leur cage n’a pas été une mince affaire. Earon comptait les jours qu’ils mettaient à recueillir les détails pour la libérer. Lorsqu’il s’est tenu au-dessus de la cage et qu’il la vue, son cœur a cessé de battre pendant quelques secondes.
Vivante, blessée, torturée et tout ce sang autour d’elle… Et son regard… La rage lui avait coupé le souffle, il lui avait fallu faire un effort surhumain pour ne pas réduire son geôlier en charpie. Il s’était concentré sur l’idée de la sauver. Il prendrait son temps, plus tard, pour la venger.

La culpabilité qu’il ressentait s’évanoui alors dans son sourire, remplacée par la volonté de vengeance qui pris alors toute la place dans sa tête.

« Ni’Luna, ma lune, ma chérie, je te vengerais.
Un éclair étrange traverse le regard de Myrtille.
- J’y compte bien, Ni’Aya, ma nuit, et je t’accompagnerais. »

Elle pose sa tête contre son torse alors qu’il l’entoure de ses bras et lui embrasse le front. Fatiguée d’être venue jusqu’à lui, elle s’endort tranquillement, entourée de son amour et de sa promesse.

Chapitre 4


Earon inspire douloureusement. Il a mal d’avoir vu les mains de sa sœur venir tenter de le tuer. Il a mal d’avoir vu dans son regard sa détresse et ses excuses pour ce geste, ainsi que tout son amour. Il a mal de reprendre si vite son souffle quand ses poumons étaient sur le point de lui faire fau bon.
Il se relève et recommence sa course, aussitôt rejoint par les Gris qu’il avait dépassés. Et heureusement, il n’imagine pas comment ils auraient réagi face à son attaque. Ils auraient conclu que son cas est trop instable pour le rituel… Il n’aurait jamais pu s’y résoudre. Profitant de la nuit et du fait qu’ils ne puissent pas apercevoir le sang qui goutte le long de son cou, il avance mine de rien vers le camp. Il la serre contre lui, la protégeant des prochains dangers, lui promettant de lui redonner sa liberté et de pouvoir l’embrasser à nouveau.
Ça lui a tant manqué. Leur langage secret, ces baisers partagés aux détours d’une maison ou dans leur lieu secret, ces gestes infimes mais pourtant qu’ils se destinaient de loin. Son regard, son sourire, son rire, sa voix, tout lui manque. Sa douceur, sa fraicheur, sa fâcheuse habitude de se mettre en danger pour rien ou de l’énerver, il aurait voulu vivre ça milles fois plutôt que de la retrouver dans cet état.
Il ne l’a même pas encore vraiment retrouvée, elle est là, dans ses bras. Pourtant enfermée dans un demi-monde, un autre espace, entourée des ombres et surtout à leur merci. Ils vont devoir aller la chercher et il ne sait encore quel prix il va devoir payer. Il s’en fiche. Elle a déjà bien assez payé comme ça.

Je donnerais tout ce que j’ai pour revoir ton sourire, Ni’Luna.

Myrtille tourne sur elle-même, il n’y a rien. Le monde est une immensité de vide, pourtant, elle n’est pas seule, elle le sent. Elle les sent. Quelque chose la frôle, l’agrippe par la taille et la tire en arrière d’un coup sec. Elle cri. L’écho se répercute autour d’elle avant qu’elle percute le sol à bout de souffle.
Sonnée, elle met quelques secondes avant d’ouvrir les yeux. Il ne fait plus noir, il fait jour. Il pleut. Elle est rapidement trempée, le sang dégouline de ses cheveux et de ses vêtements, comme lavée, elle se lève et regarde autour d’elle.
Elle se trouve sur le flanc d’une montagne abîmée par les années et au sol brûlé par la chaleur. La pluie doit lui faire autant de bien qu’à elle. Un sourire s’affiche sur son visage, elle ferme les yeux et accueille cette douce purification, le sang a disparu. Elle se lève et marche le long de cette montagne, c’est un chemin qu’elle n’avait pas fait depuis des années mais elle le connait par cœur. Ils doivent l’attendre, elle est en retard, encore. Elle retrouve les anciennes odeurs, les mêmes paysages, ses sensations oubliées, elle se met à courir.
Lissana n’y sera pas, elle le sait, elle a été épargnée. Mais sa famille l’attend, dans sa maison, sans doute même que sa mère sera devant la cheminée et son père dans l’atelier. Santana lui ouvrira la porte, une moue de réprobation sur le visage avant de lui ébouriffer ses cheveux trempés avec une serviette chaude. Tout sera pardonné.

« Attendez-moi, j’arrive ! »

Fin termine d’ôter le sang sur les cheveux de Myrtille. Le violet garde cependant une teinte sombre, il grimace. Sa binôme, perdue d’un seul coup, dire qu’il a toujours senti qu’elle ne pouvait pas être morte, pas comme ça. Il a laissé l’enfant aux soins de Sengal et, avec Earon, ils préparent la jeune-femme pour le rituel. Il faut faire vite, son souffle devient de plus en plus instable. A la lumière des bougies, il a aperçu les marques sur le cou du Gris mais s’est tu. Lui aussi, il veut la retrouver. Elle est son binôme depuis qu’il est de retour à la Brèche. Elle n’a jamais laissé tomber, toujours à trouver une solution à tout, même dans les pires moments. Cet instinct qu’il lui a souvent envié, il n’a même pas été capable, lui, d’écouter le sien.

Lorsqu’Earon est ressorti de la maison, froid et silencieux, il s’est douté qu’il se passait quelque chose de grave. Il est entré et est ressorti aussitôt. Pas elle. Il a regardé Zeven, qui a secoué la tête. Morte ? Ça ne se peut pas. C’est impossible. Il a pris son sabre et suivi Earon pour éviter qu’il ne fasse une connerie.
Il savait énormément de choses depuis qu’elle est devenu son binôme. Il savait donc à quel point Earon tiens à elle. Elle était vivante, il le sentait, mais plus il le suivait, plus le doute s’installait. Earon ne pourrais pas y croire si… Il le sentirait non ?

Maintenant elle est là, dans son lit, de plus en plus fiévreuse. Il termine d’ôter le sang sur ses mains, son cou et ses bras avant qu’Earon ne revienne avec des vêtements propres. Il se baisse et murmure à son oreille une simple phrase, lourde de sens pour elle et pour lui. Quelque chose qu’elle lui a appris, un soir lorsqu’ils discutaient devant le Compas, prêts à porter une attaque pour honorer les ombres.

« Tu dois tenir, pour toi et lui, ne l’oublie pas, tu n’es pas seule dans cette bataille. »

Elle s’arrête. La maison est là, face à elle en contrebas. Pourtant quelque chose la retient. Un souvenir, un visage. Une odeur de menthe sauvage arrive, soufflée par le vent, elle frissonne et s’entoure de ses bras. La pluie tombe plus fort, la nuit tombe d’un seul coup. La maison disparait dans le brouillard, elle tend la main mais ne bouge pas.

« …Tu n’es pas seule… »
Elle se mord la lèvre et laisse le brouillard venir l’entourer. Elle ne peut pas partir, pas maintenant. Elle n’a pas peur, elle doit tenir bon.
Les Ombres l’entourent à nouveau, glaciales, douloureuses, emplies de haine. Elle se laisse tomber à genoux et se barricade dans ses souvenirs. Elle pense à la Brèche, aux Gris, à Earon et à Fin. Elle pense aux chasses victorieuses, à celles où elle a dû ramener Fin blessé ou inversement. Ils finissaient toujours par en rire et enchaîner sur un entrainement plus vigoureux. Elle sent les caresses d’Earon, ses baisers, ses mots, sa force… Elle se laisse envahir par cette douce chaleur, sa force. Les Ombres sont toujours là mais leur pouvoir semble atténué. Elle sent leur soif qui fait écho à la sienne et cela ouvre une brèche dans sa barricade.
Une Ombre s’infiltre, tel un serpent et l’entoure totalement. Les souvenirs heureux font place à d’autres qui nourrissent son esprit de douleur, d’envie de vengeance et de haine. Elle se met à trembler, elle n’avait jamais laissé sa peine ressortir ainsi et l’Ombre qui s’en nourrit lui fait mal. Elle lève la tête, dans son regard n’apparait plus que la haine.

Un cri résonne autour d’elle, son propre cri.

Allongée sur un lit, des phrases rituelles écrites le long de ses bras en langue Nashen, les cheveux lavés étalés le long de son visage, le souffle extrêmement léger, on pourrait la croire morte. Les six Gris sont assis tout autour du lit. Des plantes brûlent dans divers pots près d’eux. Les prières résonnent dans la pièce sombre. Seule une voix diffère des autres. Celle de celui qui ira la chercher dans le royaume des Ombres. Il l’a déjà fait. Assis au plus près d’elle, il fait goutter son sang sur ses bras, son cou, sa poitrine et son front, répétant inlassablement ses prières.
Il tressaille, les Ombres sont là mais elles veulent la garder. Il force son chant et les sent reculer. Son esprit se connecte alors à celui de Myrtille.
Il fait nuit noire comme ce soir. Mais ils ne sont ni au compas, ni à la Brèche. Ils sont sur le flanc d’une montagne aride. Il la voit un peu plus haut, droite, ses cheveux flottent au vent et elle regarde un peu plus bas. Il s’approche et voit une maison tout en bas dans la vallée. Les lumières sont allumés et de la fumée sors de la cheminée. On entend des rires, des chansons. Il se tourne vers elle doucement, elle a tourné les yeux vers lui.
Trop concentré sur sa tâche, il ne remarque pas l’infime changement et lui tend la main. Elle regarde à nouveau la maison quelques secondes puis sa main et fini par hocher la tête. Lorsqu’elle pose sa paume contre la sienne, les Ombres les entourent, furieuses. Elles ne comptent pas la laisser partir si facilement. Myrtille, faible de les avoir tant combattues tombe dans les bras de Sengal. Il porte sa sœur, entamant son chant, sûr de lui et avance. Les Ombres s’acharnent tout le long de sa route mais il sait qu’elles ne gagneront pas, car les Gris le soutiennent dehors. Il continue d’avancer avec sa sœur dans les bras et la ramène enfin à sa place.

Il ne sait pas qu’il n’a pas porté que Myrtille entre ses bras.

Earon est assis contre le mur sur le lit adjacent à celui où Myrtille est toujours endormie. Depuis le rituel, elle n’avait toujours pas ouvert les yeux et il n’avait pas quitté la chambre. Sa fièvre était pourtant tombée depuis deux jours. Ses frères passaient de temps en temps pour prendre de ses nouvelles ou tenter de le faire descendre prendre une pause. Il n’avait pas quitté la chambre pour autant.
Cela lui semble impossible. Il devait constamment la regarder pour être bien certain qu’elle était réellement là. Il sait que tout aurait pu être différent. Un jour de plus et il n’y aurait plus eu personne à sauver.

Il expire longuement, levant son regard vers le plafond pour tenter de contenir ses émotions qui le tiraillent. Il souhaite juste qu’elle se réveille, comme avant que tout cela n’arrive. Qu’elle s’étire et se lève en titubant un peu avant de se tourner vers lui avec son sourire.

Là-haut, une ancienne tâche de sang lui donne des frissons. Il baisse rapidement son regard sur la chambre. Ses frères y avaient passés beaucoup de temps à retaper les meubles. Il n’était pas parvenu à revenir dormir ici avant qu’il n’entende son cri… Son esprit ne pouvait s’empêcher de lui donner des images du combat qu’elle avait perdu dans cette maison. Ces images ne cessaient de lui montrer sa nuit, inerte, allongée sur le sol quelque part.

Il se frotte le visage pour chasser ces souvenirs et se lève pour aller chercher un petit carnet en cuir caché dans un coin de la pièce. Il l’avait trouvé sous des débris. Il savait très bien que c’était son carnet et qu’elle devait sûrement écrire dessus lorsqu’ils sont arrivés.

Il ne se serait jamais permis de le lire auparavant. Les jours défilants, n’ayant aucune nouvelle, aucun indice pour la retrouver. Il s’en était servi pour garder un lien avec elle. Il feuilletait simplement le carnet et ses mots défilant devant lui provoquaient des images et des sons. Son visage, sa voix, son rire, lui revenaient comme si elle était près de lui.

Il retourne s’assoir sur son lit en gardant simplement le carnet devant lui, posé sur le drap. Il le fixe en silence pour lutter contre l’inquiétude qui lui noue la gorge. Pour éviter de penser qu’ils étaient quand même arrivés trop tard. L’impossibilité de Sengal à donner une explication ne calmait pas ses doutes.

Myrtille ne s’est toujours pas réveillée.