mardi 30 octobre 2018

Chapitre 4


Earon inspire douloureusement. Il a mal d’avoir vu les mains de sa sœur venir tenter de le tuer. Il a mal d’avoir vu dans son regard sa détresse et ses excuses pour ce geste, ainsi que tout son amour. Il a mal de reprendre si vite son souffle quand ses poumons étaient sur le point de lui faire fau bon.
Il se relève et recommence sa course, aussitôt rejoint par les Gris qu’il avait dépassés. Et heureusement, il n’imagine pas comment ils auraient réagi face à son attaque. Ils auraient conclu que son cas est trop instable pour le rituel… Il n’aurait jamais pu s’y résoudre. Profitant de la nuit et du fait qu’ils ne puissent pas apercevoir le sang qui goutte le long de son cou, il avance mine de rien vers le camp. Il la serre contre lui, la protégeant des prochains dangers, lui promettant de lui redonner sa liberté et de pouvoir l’embrasser à nouveau.
Ça lui a tant manqué. Leur langage secret, ces baisers partagés aux détours d’une maison ou dans leur lieu secret, ces gestes infimes mais pourtant qu’ils se destinaient de loin. Son regard, son sourire, son rire, sa voix, tout lui manque. Sa douceur, sa fraicheur, sa fâcheuse habitude de se mettre en danger pour rien ou de l’énerver, il aurait voulu vivre ça milles fois plutôt que de la retrouver dans cet état.
Il ne l’a même pas encore vraiment retrouvée, elle est là, dans ses bras. Pourtant enfermée dans un demi-monde, un autre espace, entourée des ombres et surtout à leur merci. Ils vont devoir aller la chercher et il ne sait encore quel prix il va devoir payer. Il s’en fiche. Elle a déjà bien assez payé comme ça.

Je donnerais tout ce que j’ai pour revoir ton sourire, Ni’Luna.

Myrtille tourne sur elle-même, il n’y a rien. Le monde est une immensité de vide, pourtant, elle n’est pas seule, elle le sent. Elle les sent. Quelque chose la frôle, l’agrippe par la taille et la tire en arrière d’un coup sec. Elle cri. L’écho se répercute autour d’elle avant qu’elle percute le sol à bout de souffle.
Sonnée, elle met quelques secondes avant d’ouvrir les yeux. Il ne fait plus noir, il fait jour. Il pleut. Elle est rapidement trempée, le sang dégouline de ses cheveux et de ses vêtements, comme lavée, elle se lève et regarde autour d’elle.
Elle se trouve sur le flanc d’une montagne abîmée par les années et au sol brûlé par la chaleur. La pluie doit lui faire autant de bien qu’à elle. Un sourire s’affiche sur son visage, elle ferme les yeux et accueille cette douce purification, le sang a disparu. Elle se lève et marche le long de cette montagne, c’est un chemin qu’elle n’avait pas fait depuis des années mais elle le connait par cœur. Ils doivent l’attendre, elle est en retard, encore. Elle retrouve les anciennes odeurs, les mêmes paysages, ses sensations oubliées, elle se met à courir.
Lissana n’y sera pas, elle le sait, elle a été épargnée. Mais sa famille l’attend, dans sa maison, sans doute même que sa mère sera devant la cheminée et son père dans l’atelier. Santana lui ouvrira la porte, une moue de réprobation sur le visage avant de lui ébouriffer ses cheveux trempés avec une serviette chaude. Tout sera pardonné.

« Attendez-moi, j’arrive ! »

Fin termine d’ôter le sang sur les cheveux de Myrtille. Le violet garde cependant une teinte sombre, il grimace. Sa binôme, perdue d’un seul coup, dire qu’il a toujours senti qu’elle ne pouvait pas être morte, pas comme ça. Il a laissé l’enfant aux soins de Sengal et, avec Earon, ils préparent la jeune-femme pour le rituel. Il faut faire vite, son souffle devient de plus en plus instable. A la lumière des bougies, il a aperçu les marques sur le cou du Gris mais s’est tu. Lui aussi, il veut la retrouver. Elle est son binôme depuis qu’il est de retour à la Brèche. Elle n’a jamais laissé tomber, toujours à trouver une solution à tout, même dans les pires moments. Cet instinct qu’il lui a souvent envié, il n’a même pas été capable, lui, d’écouter le sien.

Lorsqu’Earon est ressorti de la maison, froid et silencieux, il s’est douté qu’il se passait quelque chose de grave. Il est entré et est ressorti aussitôt. Pas elle. Il a regardé Zeven, qui a secoué la tête. Morte ? Ça ne se peut pas. C’est impossible. Il a pris son sabre et suivi Earon pour éviter qu’il ne fasse une connerie.
Il savait énormément de choses depuis qu’elle est devenu son binôme. Il savait donc à quel point Earon tiens à elle. Elle était vivante, il le sentait, mais plus il le suivait, plus le doute s’installait. Earon ne pourrais pas y croire si… Il le sentirait non ?

Maintenant elle est là, dans son lit, de plus en plus fiévreuse. Il termine d’ôter le sang sur ses mains, son cou et ses bras avant qu’Earon ne revienne avec des vêtements propres. Il se baisse et murmure à son oreille une simple phrase, lourde de sens pour elle et pour lui. Quelque chose qu’elle lui a appris, un soir lorsqu’ils discutaient devant le Compas, prêts à porter une attaque pour honorer les ombres.

« Tu dois tenir, pour toi et lui, ne l’oublie pas, tu n’es pas seule dans cette bataille. »

Elle s’arrête. La maison est là, face à elle en contrebas. Pourtant quelque chose la retient. Un souvenir, un visage. Une odeur de menthe sauvage arrive, soufflée par le vent, elle frissonne et s’entoure de ses bras. La pluie tombe plus fort, la nuit tombe d’un seul coup. La maison disparait dans le brouillard, elle tend la main mais ne bouge pas.

« …Tu n’es pas seule… »
Elle se mord la lèvre et laisse le brouillard venir l’entourer. Elle ne peut pas partir, pas maintenant. Elle n’a pas peur, elle doit tenir bon.
Les Ombres l’entourent à nouveau, glaciales, douloureuses, emplies de haine. Elle se laisse tomber à genoux et se barricade dans ses souvenirs. Elle pense à la Brèche, aux Gris, à Earon et à Fin. Elle pense aux chasses victorieuses, à celles où elle a dû ramener Fin blessé ou inversement. Ils finissaient toujours par en rire et enchaîner sur un entrainement plus vigoureux. Elle sent les caresses d’Earon, ses baisers, ses mots, sa force… Elle se laisse envahir par cette douce chaleur, sa force. Les Ombres sont toujours là mais leur pouvoir semble atténué. Elle sent leur soif qui fait écho à la sienne et cela ouvre une brèche dans sa barricade.
Une Ombre s’infiltre, tel un serpent et l’entoure totalement. Les souvenirs heureux font place à d’autres qui nourrissent son esprit de douleur, d’envie de vengeance et de haine. Elle se met à trembler, elle n’avait jamais laissé sa peine ressortir ainsi et l’Ombre qui s’en nourrit lui fait mal. Elle lève la tête, dans son regard n’apparait plus que la haine.

Un cri résonne autour d’elle, son propre cri.

Allongée sur un lit, des phrases rituelles écrites le long de ses bras en langue Nashen, les cheveux lavés étalés le long de son visage, le souffle extrêmement léger, on pourrait la croire morte. Les six Gris sont assis tout autour du lit. Des plantes brûlent dans divers pots près d’eux. Les prières résonnent dans la pièce sombre. Seule une voix diffère des autres. Celle de celui qui ira la chercher dans le royaume des Ombres. Il l’a déjà fait. Assis au plus près d’elle, il fait goutter son sang sur ses bras, son cou, sa poitrine et son front, répétant inlassablement ses prières.
Il tressaille, les Ombres sont là mais elles veulent la garder. Il force son chant et les sent reculer. Son esprit se connecte alors à celui de Myrtille.
Il fait nuit noire comme ce soir. Mais ils ne sont ni au compas, ni à la Brèche. Ils sont sur le flanc d’une montagne aride. Il la voit un peu plus haut, droite, ses cheveux flottent au vent et elle regarde un peu plus bas. Il s’approche et voit une maison tout en bas dans la vallée. Les lumières sont allumés et de la fumée sors de la cheminée. On entend des rires, des chansons. Il se tourne vers elle doucement, elle a tourné les yeux vers lui.
Trop concentré sur sa tâche, il ne remarque pas l’infime changement et lui tend la main. Elle regarde à nouveau la maison quelques secondes puis sa main et fini par hocher la tête. Lorsqu’elle pose sa paume contre la sienne, les Ombres les entourent, furieuses. Elles ne comptent pas la laisser partir si facilement. Myrtille, faible de les avoir tant combattues tombe dans les bras de Sengal. Il porte sa sœur, entamant son chant, sûr de lui et avance. Les Ombres s’acharnent tout le long de sa route mais il sait qu’elles ne gagneront pas, car les Gris le soutiennent dehors. Il continue d’avancer avec sa sœur dans les bras et la ramène enfin à sa place.

Il ne sait pas qu’il n’a pas porté que Myrtille entre ses bras.

Earon est assis contre le mur sur le lit adjacent à celui où Myrtille est toujours endormie. Depuis le rituel, elle n’avait toujours pas ouvert les yeux et il n’avait pas quitté la chambre. Sa fièvre était pourtant tombée depuis deux jours. Ses frères passaient de temps en temps pour prendre de ses nouvelles ou tenter de le faire descendre prendre une pause. Il n’avait pas quitté la chambre pour autant.
Cela lui semble impossible. Il devait constamment la regarder pour être bien certain qu’elle était réellement là. Il sait que tout aurait pu être différent. Un jour de plus et il n’y aurait plus eu personne à sauver.

Il expire longuement, levant son regard vers le plafond pour tenter de contenir ses émotions qui le tiraillent. Il souhaite juste qu’elle se réveille, comme avant que tout cela n’arrive. Qu’elle s’étire et se lève en titubant un peu avant de se tourner vers lui avec son sourire.

Là-haut, une ancienne tâche de sang lui donne des frissons. Il baisse rapidement son regard sur la chambre. Ses frères y avaient passés beaucoup de temps à retaper les meubles. Il n’était pas parvenu à revenir dormir ici avant qu’il n’entende son cri… Son esprit ne pouvait s’empêcher de lui donner des images du combat qu’elle avait perdu dans cette maison. Ces images ne cessaient de lui montrer sa nuit, inerte, allongée sur le sol quelque part.

Il se frotte le visage pour chasser ces souvenirs et se lève pour aller chercher un petit carnet en cuir caché dans un coin de la pièce. Il l’avait trouvé sous des débris. Il savait très bien que c’était son carnet et qu’elle devait sûrement écrire dessus lorsqu’ils sont arrivés.

Il ne se serait jamais permis de le lire auparavant. Les jours défilants, n’ayant aucune nouvelle, aucun indice pour la retrouver. Il s’en était servi pour garder un lien avec elle. Il feuilletait simplement le carnet et ses mots défilant devant lui provoquaient des images et des sons. Son visage, sa voix, son rire, lui revenaient comme si elle était près de lui.

Il retourne s’assoir sur son lit en gardant simplement le carnet devant lui, posé sur le drap. Il le fixe en silence pour lutter contre l’inquiétude qui lui noue la gorge. Pour éviter de penser qu’ils étaient quand même arrivés trop tard. L’impossibilité de Sengal à donner une explication ne calmait pas ses doutes.

Myrtille ne s’est toujours pas réveillée.

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