Combattre ou mourir…
Le poste avancé Fondateur situé à
Vedasq se nomme le Compas. Il est constitué de bâtiments de taille diverse. Il
y a quelques immeubles assez hauts, d’autres plus petits et quelques bâtiments
individuels ainsi qu’un très large gymnase réaménagé. Ces bâtiments sont
entourés d’un très large mur de métal surmonté de barbelés. Ce mur est assez
épais pour que deux personnes s’y croisent pendant leur ronde de surveillance.
Il y a une très petite porte blindée qu’utilisent les Fondateurs pour entrer et
sortir du poste avancé. Celle-ci est placée sur une plus large porte qu’ils
n’ouvrent qu’en cas d’extrême urgence. Il faut d’ailleurs être au moins deux
pour tourner les grandes manivelles et ainsi actionner l’énorme système de
chaines et de poulies qui soulèvent la grande porte.
Certains passages entres les
bâtiments sont de simples chemins de terre tandis que le chemin principal qui
mène de la porte vers le centre du poste est une route encore en bon état. Le
centre est d’ailleurs installé devant une ancienne statue en cuivre. Pour
honorer les anciens comme il se doit, les Fondateurs ont suspendus deux
voitures rouillées sur des tiges de métal par devant cette statue. Ils ont
ensuite installés un ensemble hétéroclite de fauteuils et de canapés en tout
genre en arc de cercle autour d’un très large feu de camp établi au pied de ce
monument.
Des tours de gardes sont
positionnées à l’intérieur du Compas. Elles donnent un accès au chemin de ronde
et surtout une vue assez large sur les environs extérieurs afin de prévenir
toute tentative d’invasion ennemie. Des Fondateurs se relaient sur ces tours
bien qu’elles soient de moins en moins surveillées la nuit.
Ils ont réaménagés la majorité
des bâtiments qui composent le poste avancé. Dans les immeubles, seuls les quatre
étages inférieurs ont pu être remplacés en dortoir, salles de stockages ou bien
d’exposition de matériel ancien. Les étages plus hauts sont parfois trop
instables pour y contenir plusieurs personnes en même temps.
Dans les bâtiments plus petits,
sont installés les chefs de chaque section qui compose le système social des
Fondateurs. Le dirigeant de ce poste avancé possède lui-même le plus large des
bâtiments individuels.
Le gymnase, quand à lui, a été
aménagé en bar, salle d’entrainement et contient également une large cage qui
déborde même sur l’extérieur du bâtiment. Les Fondateurs en attente de jugement
s’y font enfermés du côté intérieur. Le côté extérieur de cette cage, n’étant
pas protégé des aléas de la météo, est réservé aux ennemis de la Fondation.
C’est ici, contre la partie la
plus extérieure de la cage, proche du mur d’enceinte et de sa tour de garde,
que se trouve une jeune femme. Elle est attachée aux grilles solides par une
chaine reliée à une corde autour de son cou. La longueur de la chaine l’empêche
de se mettre debout ou de s’allonger. Elle passe son temps agenouillée, les
bras libres mais sans avoir la force de se détacher. Elle porte un sarouel et
un débardeur tâchés de sang et déchirés à de nombreux endroits. Rien de plus.
Ses cheveux violets virent au
noir à cause de la saleté et du sang qui les entaches. Elle garde le visage
baissé, somnolant à moitié.
Cela fait tellement de temps que
Myrtille se trouve ici qu’elle ne saurait même plus dire le nombre exact de
jours qu’elle a passé sous ce ciel qui la malmène tout autant que ses
bourreaux.
Mourir… Elle se souvient.
Elle était en train d’écrire à Santana pour calmer ses pensées et honorer la
mémoire de sa sœur quand tout a basculé. Elle était à l’étage, les a entendus
entrer doucement, lentement. Elle les a pris pour des Gris, pour sa famille.
Puis ils ont tout cassé. Tout, dans un élan qu’elle n’a pas compris.
Elle s’est levée et a tendue l’oreille. Non, ce n’était pas des Gris, c’était des
impurs.
Trop d’impurs.
Elle pourrait… Elle a tendu la main vers son carquois posé à sa gauche et
a grimacé. Une seule flèche. Impossible. Elle a sorti son couteau et les a attendus.
Elle n’aurait jamais pu les laisser sortir d’ici après tout ça, en tout cas pas
indemne. Même s’il elle devait y rester.
On ne viole pas impunément sa maison. Lorsqu’elle les a entendus
monter, elle a su qu’elle ne ferait pas le poids mais elle n’a pas reculé. C’était
son territoire. Elle devait se servir de ça. Elle connaissait le terrain, pas
eux.
Elle s’était placée, couteau en main, face aux escaliers, cheveux
tombant sur sa nuque, pas de masque, pour lui donner l’air d’être une apprentie.
Six, elle en aura saigné six. Elle s’était battue comme elle le fait
toujours mais elle a fini, elle ne se souvient pas comment, évanouie au sol,
baignant dans une flaque de sang. Les quatre autres n’avaient pas assez morflés
pour la laisser là, même s’ils la croyaient morte. Elle s’était faite attachée
et trainée de bâtiments en bâtiments avant de finir dans cette cage.
Pardon Earon, pardon les Gris, j’ai échouée.
Combattre…
« L’échec n’est pas
envisageable, To’NamSa, tu dois tenir bon. »
Myrtille relève la tête
faiblement. Elle cligne des yeux sous la lumière éblouissante du soleil. Levant
lentement une main pour la poser devant ses yeux, elle fixe la silhouette floue
devant elle. Son cœur accélère dans sa poitrine lorsqu’elle lève son regard sur
le visage familier de son frère de clan. Il se tient devant elle, les mains
dans les poches, dans une position nonchalante, comme si le lieu ne le
dérangeait pas.
« Earon ? »
Elle cligne des yeux, fronçant
les sourcils. Un détail ne semble pas coller dans son esprit. Elle ferme les
yeux de longues secondes en levant totalement son visage vers le soleil, comme
pour y chercher un peu de lumière. Lorsqu’elle regarde à nouveau en face
d’elle, il n’a pas disparu.
Son cœur loupe un battement, elle
tente de se relever vivement pour tendre une main vers lui afin qu’il l’a sorte
de ce cauchemar.
« Earon, aide
m… ! »
La corde se resserre brutalement
sur son cou, l’obligeant à se baisser pour lui permettre de retrouver sa
respiration. Sa main tendue tombe au sol et la silhouette disparait comme un
nuage de poussière sous ses yeux.
« Non… Ne me laisse
pas… »
Elle se laisse totalement tomber
contre la grille, le regard fixé sur l’emplacement vide. Son esprit tourne au
ralenti, ne trouvant aucune explication au phénomène qu’elle vient de voir. En
même temps, elle sent son cœur se serrer dans sa poitrine, sa respiration
s’accélère, elle se sent oppressée. Elle est seule dans cette cage.
Dans un élan de détresse, elle
tente de gratter la corde qui brûle sa gorge tout en tapant le sol de sa main
libre. Respirer, s’enfuir, survivre, combattre…. Elle se débat de toutes ses
forces, celles qui lui restent, pour tenter de se détacher de cette chaine
infernale. Elle se blesse les mains, encore, mais cela ne lui fait plus rien.
Même la douleur physique n’a plus d’impact sur son esprit. Pas après tout ce
qu’ils ont fait. Pas après tout ce qu’elle a fait à cause d’eux…
Elle n’y parvient pourtant
toujours pas.
Du plus profond de sa poitrine
s’échappe un cri de rage et de peine. Il résonne longtemps entre les murs du
Compas avant de s’éteindre avec le vent. Cela fait sursauter certains
Fondateurs affairés autour du feu de camp. Un homme assis là pour fumer
tranquillement esquisse un sourire avant de se lever pour se diriger lentement
vers la cage et observer ce petit oiseau pris au piège.
Tout au sud du Compas se trouve
le poste avancé Nashen appelé la Brèche. Celui-ci est composé de plusieurs
maisons réaménagées. Il ne contient aucun bâtiment très haut. Cet emplacement a
été sélectionné pour son manque de marque des anciens et sa très grande
dégradation naturelle.
Bien qu’il soit dans un creux,
l’emplacement n’en reste pas moins très protégé. Il est entouré d’un épais mur
de lianes solides et de ronces façonnées manuellement par les Nashen. Sa porte
est tout aussi blindée que celle des Fondateurs et les grandes portes en fer
s’ouvrent avec un système de cordes et de mécanisme en bois.
Des tours de garde en bois ont
été fabriquées tout autour du mur naturel.
Les chemins entre les bâtiments
sont majoritairement tous en terre, il ne reste que quelques morceaux de route
encore visible par endroit.
Les maisons ont été aménagées
pour permettre à tous les membres d’un même clan d’y loger. Lorsque la place
vient à manquer, la maison mitoyenne est utilisée. Ils stockent le matériel
dans les maisons vides et également celles où logent les Nashen sans clan.
Le feu de camp a été installé non
loin de l’église réaménagée en temple de prière, de la porte du camp et de la
solide cage en bois. Il se trouve ainsi entre toutes les routes du poste avancé.
Les Nashen s’y assoient autour à même le sol ou bien sur des troncs d’arbres
disposés le long des murs des maisons.
L’ancienne station essence à
gauche de la porte est devenue le garde-manger où toutes les ressources sont
partagées équitablement. Un jardin où poussent divers fruits et légumes est
entretenu juste en face, entre quelques maisons.
Au plus profond de la Brèche, au
coin d’une ruelle sombre, se trouve la maison du clan des Gris Forestiers. Un
jeune homme masqué quitte cette maison à pas de loups. Lorsque le soleil est
haut dans le ciel, c’est toujours le moment où tous ses frères se reposent. Il
ajuste son carquois dans son dos ainsi que son arc sur son épaule et se dirige
à petites foulées vers la sortie du poste avancé.
Il porte comme à son habitude une
tenue dépareillée, une veste rembourrée de combattant et un pantalon sombre. Il
a réussi à trouver une paire de chaussure de bonne qualité dans l’un des
immeubles du nord qu’il a fouillé il y a plusieurs jours. Le cuir n’est pas
troué et, pour une fois, elles sont à sa taille.
Sans regarder derrière lui, Earon
s’avance hors de la Brèche vers une plaine à l’Est. Son sac à dos ne le gêne
plus pour courir depuis très longtemps. Il s’est entrainé pour ça sans relâche.
L’esprit légèrement perdu dans ses pensées, il continue sa route vers sa
destination sans véritablement faire attention à ce qui l’entoure.
Il connait ces routes, ces
plaines, ces ponts, ces chemins dans le moindre détail. Il les connait de jour
comme de nuit. Il vit à Vedasq depuis maintenant plus de six ans. Il les a
toutes passées à parcourir la région d’un bout à l’autre pour un clan ou pour
un autre.
Une fois arrivé en haut d’une
petite montagne, il se permet de ralentir son pas. Son cœur se serre légèrement
quand il aperçoit les anciennes tombes à sa droite mais il ne s’attarde pas
dessus. Il se dirige vers le rebord de la montagne et fixe vers le Nord-Ouest,
dans la direction du Compas.
Bien évidemment, il ne l’aperçoit
pas d’ici. Cependant, le simple fait de fixer dans cette direction lui fait du
bien. Il plonge les mains dans ses poches et reste un très long moment ainsi,
le regard dans le lointain.
Il se souvient, lorsqu’il est rentré un matin après une alerte au feu
dans un entrepôt non loin de la Brèche, Zeven refusait de le laisser entrer
dans la maison. Sa maison. Leur maison. Il n’a pas compris, évidemment.
Fatigué, énervé, il a envoyé son Frère aller se faire voir comme un malpropre tout
en le bousculant et il a passé la porte.
Il a passé la porte sur un autre temps, un autre univers. Tout avait
été dévasté, déchiré, détruit. Et ce sang. Ce rouge partout. Il ne restait plus
rien de leur vie, leurs objets étaient tous éparpillés en morceaux.
Puis il s’est souvenu.
Elle était là-haut.
Il a monté les escaliers quatre à quatre même s’il savait. Il le devinait,
il le ressentait.
Elle n’était plus…là. Les pièces étaient vides, ou plutôt remplies de
débris de leur passé. Des cheveux étaient collés au sol, mélangés au sang, il a
attrapé la mèche à la teinte violet-rouge et l’a serrée dans son poing.
Figé, les mains tremblantes, il a gardé les yeux rivés sur la tâche de
sang et les corps disséminés à l’étage qu’il n’avait pas vu avant. Il n’a pas
vu ni entendu ses frères qui sont montés et qui ont découvert la scène à leur
tour. Dans sa tête, un son strident a résonné sans fin.
Pourtant, dans la pièce, il n’y avait pas un cri, pas un bruit,
seulement un silence pire que la mort.
Il a fait demi-tour brusquement et quitté la maison sans prononcer un
seul mot.
Elle est partie. Nuit sans lune.
Son cœur se serre à l’évocation
de ce souvenir. Il reste pourtant encore quelques minutes ainsi, debout face à
l’immensité, le regard en direction de leurs ennemis qui ont capturés Myrtille.
Elle est là-bas, il l’a entendue l’autre nuit. Il a cru avoir rêvé. Il
commençait à envisager l’idée de perdre espoir quand son cri lui est parvenu.
Comme un signe des Ombres… Un murmure du vent…
« L’échec n’est pas
envisageable, To’NamSa, tu dois tenir bon. »
Dit-il à voix haute, seul sur
cette montagne, les yeux tournés vers le Compas. Il ferme les yeux quelques
secondes pour ne pas céder à cette envie stupide d’aller seul là-bas pour la
sauver. Il sait que cela ne l’aidera en rien. Les poings serrés dans ses
poches, dont les doigts de la main droite sont repliés autour d’une mèche de
cheveux violets, il savoure la simple idée qu’un plan se prépare pour aller la
chercher avant de tourner les talons pour rentrer à la Brèche.
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