Les torches des tours de garde
clignotent deux fois chacune. Earon et Myrtille se lèvent d’un bond. Les impurs
sont devant les portes. Elle tente de lever le bras gauche pour prendre son arc
par habitude mais l’attelle lui rappelle sa condition. Elle grogne. Earon saute
sur le toit voisin pour aller voir de plus près ce qu’il se passe. Myrtille
descend du toit pour aller chercher les Gris encore présents dans la maison.
« Il y a une alerte !
Signale-t-elle à peine entrée.
Haze, un jeune Gris, se lève d’un
bond. Il attrape sa masse, indique les étages d’un signe de tête et fonce
dehors. Myrtille grimpe les escaliers deux à deux. Elle frappe à toutes les
portes des chambres en répétant qu’il y a une alerte.
- Combien ? Demande
Alpharius en sortant, sabre à la main.
Sengal ne lui laisse pas le temps
de répondre :
- Restes ici Myrtille.
Elle baisse les épaules et les
regarde sortir un par un de la maison, armés d’arc ou de sabres. Fin s’apprête
à les suivre, il se retourne sur le pas de la porte.
- Brise vent, tu nous
manques. »
Elle incline la tête, touchée et
se laisse tomber sur une chaise après qu’il ait refermé la porte derrière lui.
Elle regarde autour d’elle. La maison en brique est largement réhabitée par la
nature. Les lianes tombent du toit, tressées avec douceur pour leur permettre
d’évoluer dans la maison sans les détruire. Les racines des arbres voisins
ayant percés le parquet en de nombreux endroits, l’herbe s’est imposée comme un
nouveau sol. Les escaliers sont couverts de mousse. Elle revoit encore le sang
qui couvrait les murs après sa bataille contre les impurs, son ventre se serre.
Myrtille se lève et monte voir
Steven dans sa chambre. Elle glisse son doigt sur une trace de sang qui n’a pas
pu être effacée. Une sueur froide coule le long de son dos. Elle toque deux
fois, il lui permet d’entrer. Il est à demi assis dans son lit, le drap sur les
genoux. Son masque est posé près de la bougie, les ombres dansent dans la
pièce, Myrtille les fixe quelques secondes, son estomac palpite. Elle avale
lentement sa salive et s’avance vers le jeune Steven.
« Tu m’as couverte…
Elle s’assoit sur le matelas
installé en face de lui.
- Oui.
- Pourquoi ?
Steven tourne lentement la tête
pour fixer le mur en face de lui.
- Parce que toi tu as couvert
Earon.
- Tu… Tu penses que… ?
Myrtille frissonne. Elle passe
son doigt sur ses cicatrices aux poignets.
- Je n’en sais rien, si tu veux
mon avis, tu devrais demander à Earon ou Norae… Ou bien Tsalmaveth.
- Oui… Mais si ce n’est pas ça et
qu’ils en sont pourtant convaincus… ?
Steven croise les bras en
grimaçant légèrement.
- Hum, tu veux savoir ce que tu
as fait là-haut ?
- Oui… S’il te plait. »
Steven ferme les yeux, Myrtille
laisse les ombres frémir sur les murs. Elle tente de se concentrer sur ce qu’il
dit pour se souvenir de ce qu’elle a fait.
Steven regarde Myrtille entrer dans le temple. Il soupire, allume la
torche de la tour et se pose contre l’un des piliers. Il observe par-dessus la
haie. Il reste longtemps ainsi, dans le temple c’est le silence total. Il jette
de temps en temps des coups d’œil mais rien ne bouge dans la Brèche. La torche
faiblit un peu, les flammes dansent sur le poteau et, en face, seul le taurus
est en mouvement. Un mouvement sur sa gauche attire son regard, à peine
s’est-il replacé qu’il a en face de lui Myrtille sans son masque.
Elle le fixe, son regard est sombre à travers ses cheveux détachés.
Elle reste dans l’ombre de la torche, son couteau étincelle dans sa main
droite. Le bras en attelle ne semble plus la gêner. Elle est en position de
combat et le jauge en silence. Un silence pesant, tendu. Steven passe lentement
une main derrière son dos pour attraper son propre couteau mais elle lève le
bras.
Myrtille abaisse à une vitesse ahurissante la lame de son couteau
contre l’abdomen du jeune Gris. Steven s’effondre contre la torche dans un
gémissement de douleur et de surprise. Elle ne bouge pas, c’est comme si sa
main n’avait pas bougée. Pourtant le sang coule entre les doigts de Steven qui
continue de la fixer, apeuré.
« Q…Qui es-tu ?
Myrtille lève la lame dans la lumière de la torche, plisse les yeux
devant le reflet des flammes et la porte à ses lèvres.
- Je ne suis que la vengeance.
Steven ouvre grand les yeux derrière son masque. Il voit la lame
goutter sur son sourire carnassier puis se relever, prête à frapper de nouveau.
- VA T’EN ! MYRTILLE, LES LAISSE PAS FAIRE, BAT-TOI ! »
Myrtille baisse son couteau en souriant toujours, elle se baisse vers
lui et, avec une force incroyable, entre ses doigts dans la plaie, faisant
taire Steven sous la douleur. Elle se relève lentement et le fixe, ses doigts
montent à ses lèvres…
Steven cri comme il le peut. Myrtille arrête son geste, sa posture perd
de sa confiance, elle chancelle et cligne des yeux.
Steven tourne lentement la tête
vers elle. Myrtille s’est repliée sur elle-même et rentre ses ongles dans ses
paumes. Elle ne parvient pas à voir ce qu’il vient de lui raconter. C’est le
noir total dans sa tête. Rien, pas un souvenir, pas une bribe d’image. Le récit
de Steven lui parait totalement étranger. Elle ne ressent même pas de
culpabilité pour ses actes, seulement une grande incompréhension. La
culpabilité vient plutôt du fait qu’elle ne se souvient de rien. Elle sent son
estomac devenir aussi lourd qu’une pierre.
« Je ne… Je ne me souviens
de rien.
- Je n’en parlerais pas. Mais
toi, fais-le. »
Elle hoche la tête, se lève et
quitte la chambre comme une automate. Dans son esprit, le vide laissé par sa
méditation se remplit d’échos du passé où divers voix s’entremêlent. « Boit
son sang, FAIT LE ! » Une fois en bas, elle se dirige vers son
arc entreposé sur une étagère. « Tu
es faite pour tuer, n’est-ce pas ? Tu aimes ça, avoue-le. » Elle
lève la main droite et l’empoigne sans réfléchir. « Allons Myrtille, ne fait pas l’enfant, fait ce que je te
demande. Torture-le. » De sa main gauche, elle attrape le carquois de
secours posé près de la porte. « Tu
aimes le sang, tu aimes les voir en perdre, y goûter, je le sais. » Elle
quitte la maison, défaisant son bandage avec les dents. L’attelle tombe dans la
ruelle, son bras la chauffe et est tout engourdit. Elle plonge ses ongles dans sa peau pour percer sa carotide et le sang
rouge vif coule à flot. Elle tend son bras en avant en grimaçant mais elle
a plus besoin de tuer un ou deux impurs que de sentir la douleur.
Les Nashen courent partout,
montent et descendent des tours de garde. Elle s’avance doucement vers la
grande porte, dehors c’est la cohue. Son ventre pèse lourd encore, elle passe
devant les Gris qui ne la reconnaissent pas tout de suite. Ils réagissent trop
tard, elle a déjà franchi la porte et avance droit vers les impurs. Elle prend
une flèche, bande son arc en grimaçant et tire. « Tu le sais, ma chérie, ce sang est pur, il est plein de force,
tu en as envie n’est-ce pas ? » Elle tire, encore et encore,
froide, droite. « Et Elle en a envie
aussi, tu le sens... Laisse la venir...Ecoute l’appel des Ombres…» Les
nashens autour d’elle profitent des blessés qu’elle fait pour terminer de faire
fuir les plus fort et d’achever les plus faibles qui ne peuvent plus courir.
Vicodyn aura du travail lorsque le soleil sera levé.
Son bras retombe lentement le
long de son corps, le sang coule mais ne la fait pas réagir. La faim la tiraille depuis plusieurs jours,
ils le savent. Ils restent là à la regarder fixer ce sang qui coule sur ses
doigts au rythme de plus en plus lent des battements de son cœur. Elle se
penche lentement… Elle reste plantée là, au milieu des corps gémissant, les
nashens tentent de la faire sortir de sa léthargie mais rien n’y fait. Earon
arrive, elle tourne lentement la tête vers lui. Il tend la main en silence,
Myrtille y dépose son arc qu’il passe à son épaule avec le sien puis retend la
main pour prendre la sienne.
Elle avance dans le brouillard.
Le poids est encore là et la douleur se réveille, lui coupant le souffle. Elle
regarde son bras et tourne de l’œil. Earon la rattrape juste à temps, secouant
la tête, il la ramène dans la maison des Gris où Sengal soigne à nouveau sa
blessure.
« Tu sers les Familles ? C’est ça ton activité ?
- Oui, moi et mes sœurs.
Sarri réfléchit et regarde sa compagne. Alice hoche la tête.
- Venez, j’ai du travail pour vous. »
« Serre les dents, si j’entends un seul cri je te retire ton
travail. »
Myrtille serre les dents et retient ses larmes, l’objet en fer chauffé
à blanc se colle à la base de sa nuque, marquant un œil sur sa peau, marque de
sa nouvelle Famille.
« Torture-le. Il sait forcément quelque chose.
- Sans voir ses yeux ?
- Oui. Exécute-toi ! »
« Myrtille, je crois que je me sens mal…
- Pourquoi Santana ?
- J’ai appris que…Oh, j’ai du mal à m’en souvenir… J’ai si mal à la
tête !
- Tu ne devrais pas prendre ce que Monsieur Sarri te donne, c’est
mauvais !
- Tais-toi Myrtille !
- Qu’est-ce que tu as vu ? Allons dis-moi !
- Des nashens, nous torturons des nashens… Et ils boivent leur
sang ! Oh Myrtille j’ai vraiment la tête qui tourne je vais m’allonger. Il
faudra… Il faudra partir hein ? »
« Si tu pars, je les tue.
- Arrêtez de donner toutes ces…drogues à Santana !
Myrtille reçoit une claque monumentale.
- Tais-toi. Ne me donne pas d’ordres, impure ! »
« Lissana, je crois que Santana continue de se droguer en douce
depuis que Monsieur Sarri est mort.
- Mais non voyons, elle va bien.
Lissana regarde au loin en souriant.
- Liss… Oui, tu as sans doute raison… »
« Oh… Myrtille… Il fait si noir… J’ai si froid…P…Pourquoi ?
- Ça ira Santana. Je te le promets.
Myrtille essuie le front de sa sœur et regarde la seringue près d’elle.
Elle avale lentement sa salive.
- Myrtille… Tu es si jeune et bien plus sage… Je suis fière de toi.
- Merci. Santana, repose-toi… Ca va aller.
Elle prend la seringue d’une main tremblante et inspire. Sa sœur sourit
mais son sourire se transforme en grimace. La plaie dans son cou lui fait si
mal. Myrtille essuie à nouveau ses larmes et injecte le produit surpuissant
dans le corps de sa sœur.
- Ça ira Myrtille… Ça ira… »
« Santana…
- Chhhht, repose toi Ni’Luna, tu
es faible.
- Je ne suis pas… ! »
Elle tente de se lever mais sa
tête tourne, elle la laisse lourdement retomber sur les oreillers. Elle est en
sueur, fiévreuse, Earon éponge son front comme elle le faisait avec Santana.
Elle avale sa salive, les larmes aux yeux. Ses frères lui ont pardonné ses
actes mais elle n’a jamais eue l’occasion d’en parler à Lissana avant son
suicide. Elle a perdu ses deux sœurs mais elle a trouvé une nouvelle famille.
Elle repousse le tissu humide qu’il portait encore à son front et s’assoit tant
bien que mal. Il s’assoit à côté d’elle, comme à chaque fois que l’un des deux
est blessé, l’entoure de ses bras et lui demande de raconter ce qu’elle se
souvient de son enfance, les parties les plus heureuses. Myrtille se concentre
alors, elle ferme les yeux et pioche dans le panel de souvenirs qui s’impose à
elle, encore mélangé et flou pour certains.
Elle finit par s’endormir au
milieu d’une phrase. Earon la rallonge doucement, se lève pour rabattre les
rideaux cachant la lumière du soleil qui arrive. Il sort pour aller sur le
toit. L’aube colore le ciel d’orange et de rouge, passant par quelques teintes
de rose et de mauve. Les étoiles disparaissent, les ombres rétrécissent. Il
enfonce ses mains dans ses poches. Debout, face au soleil, il attend que ses
angoisses se calment. Comme pour faire écho au grondement sourd qui monte dans
sa gorge, un chant au loin perce le silence. Il sourit très légèrement sous son
masque. Elle ne reviendra pas, c’est trop tôt. Il passe son pouce nonchalamment
sur la mèche de cheveux encore présente au fond de sa poche en laissant les
souvenirs de la veille passer dans son esprit pour ne plus les subir.
Il était proche de chez Vicodyn lorsqu’il l’a aperçue pendant l’attaque.
Il l’a d’abord prise pour une nashen novice à cause de ses gestes tendus et de
son imprudence. Elle ne ratait pourtant presque aucun tir, touchant
majoritairement des zones précises pour ralentir ou mettre à terre les
fondateurs qui l’entouraient. En quelques secondes il avait reconnu sa
technique et sa posture. Il avait aussi remarqué ses gestes détachés et raides,
comme chaque fois qu’elle vient de subir un choc qu’elle ne parvient pas à
supporter. Le cœur battant, il s’est alors posté plus en hauteur pour la
couvrir. Aucun ennemi n’avait pu la toucher cette fois.
Il venait tout juste de la retrouver il n’allait pas laisser qui que ce
soit, encore moins elle-même, l’éloigner de lui. Il l’avait entendu délirer
toute la nuit sur sa période sous les ordres de Sarri. Pendant qu’il lui
épongeait le front, il avait compris que la culpabilité pesait encore sur ses
épaules. Son fantôme n’était pourtant plus là depuis la nuit dernière, il s’en
était assuré. Il était peut-être plus fort qu’il ne le pensait… Elle en avait
peut-être d’autres dont elle ne lui a pas encore parlé… Il était passé d’une
idée à l’autre pendant toute la nuit, refusant d’en admettre certaines.
Elle avait bu du sang pendant sa captivité et il savait tout ce que
cela pouvait impliquer. Il espérait qu’elle ait de la chance et qu’elle ne
traverse pas ce par quoi il était lui-même passé.
Après avoir pris la décision de
découvrir tout ce qui peut lui passer par la tête, il ajuste son masque et,
lorsqu’il ne peut plus supporter la lumière et la chaleur, descend rejoindre sa
femme pour se reposer.
« Recommence. Encore !
Plus fort, moins loin. Remet ton bras, frappe ! Bon sang Fin, concentre
toi !
Fin soupire et baisse son regard
vers son entraîneur. Il ne cesse de jeter des coups d’œil à la fenêtre de leur
chambre, inquiet. Zeven grogne, il se remet en garde et tente de se concentrer.
- Plus bas tes coups ! Moins
vite, anticipe le geste… »
Fin s’assoit, mort de fatigue,
ses muscles sont douloureux et le soleil de la fin de journée tape encore fort,
il est en nage. Il retire son masque et le pose au sol à côté de lui près de
son épée. Son regard fixe encore la fenêtre là-haut. Il sort un vieux tissu
sale duquel il déroule une lame rougie par le sang séché. La garde est
légèrement plus courte que d’ordinaire et adaptée à la main gauche, sa couleur
unique bleue foncée traversée de lignes blanches entrecroisées formant une
plume rend l’arme difficile à confondre avec une autre.
Il se souvient des jours qu’il a
mit à fabriquer cette arme pour leur cadeau de mariage. Elle rageait telle une
enfant qu’il lui fasse tant de secrets. Il avait payé cher les matériaux et
ensuite passé ses journées à tailler la garde, fendre la lame et la fixer
ensuite. Le sang pur est reconnaissable, les gouttelettes argentées qui se
forment lorsqu’il sèche permettent de ne pas le confondre avec le sang impur.
Fin joue avec la garde entre ses doigts, faisant refléter les petites gouttes
grises qui parsèment la lame.
Son esprit est concentré sur les
derniers évènements. Il cherche comment le couteau de Myrtille a pu atterrir de
l’autre côté de la haie d’enceinte du poste. Il la replace dans le tissu,
l’enroulant minutieusement. Sa décision est prise, l’eau enlèvera le sang sur
la lame et elle retrouvera sa place dans le fourreau accroché à la ceinture de
sa binôme. Elle lui dira lorsqu’elle sera prête. Ramassant son masque et son
épée, il se dirige vers la maison des eaux où les nashens ont mit en place tout
un système d’eau courante permettant de se laver. Il a bien besoin d’une remise
en forme avant la chasse prévue cette nuit.
La chasse, moment fort des nuits
des Gris. Fin ajuste son sabre à sa ceinture et l’arc à son épaule. Le carquois
est déjà bien fixé contre son sac à dos. Il met ses gants, enfile son masque et
relace ses bottes. Myrtille le regarde, assise à la table, silencieuse. Il lève
les yeux vers elle et s’avance. Fin sort de son sac le tissu abîmé duquel il
enlève la lame lavée et affutée qu’il pose sur la table. Myrtille ouvre la
bouche, paniquée. Il pose une main sur son épaule et secoue la tête. Elle
incline la sienne avec reconnaissance. Une larme roule sur sa joue, il la prend
dans ses bras. Myrtille s’accroche à son sac comme une bouée de sauvetage.
« Brise vent, ça va aller.
- Fin… Je veux chasser.
Il la repousse doucement, les
mains sur ses épaules et la fixe.
- Tu ne peux pas. Ton cas s’est
déjà aggravé la nuit dernière à cause de ton entêtement. C’est trop important,
Myrtille. Tu ne peux pas recommencer.
- Je t’en prie, je veux
venir !
- Tu sais te battre de la main
droite ?
Myrtille grogne et baisse la
tête.
- Non.
- Alors tu ne viens pas. Te
battre avec un point faible c’est idiot et tu le sais.
- Oui, tu as raison.
J’abandonne. »
Elle se rassoit et le regarde
terminer ses préparatifs. Zeven descend, accompagné d’Earon et de Sengal. Tous
la saluent avec un peu de réserve, ils savent combien son envie de chasser est
importante. Earon glisse sa main dans sa nuque et l’embrasse sur le front. Il
attrape son masque près de la porte et le fixe en silence. La tension monte
entre eux, l’adrénaline coule dans leurs veines, Myrtille ressent un léger
frisson suivit d’un courant électrique qui la traverse d’une main à l’autre.
Elle ferme le poing droit et se concentre, heureusement personne ne l’a
remarquée. Ils quittent tous la maison en silence. Elle se lève et renverse une
étagère pour calmer la tension qu’elle ressent.
« Ces livres ne t’ont rien
fait, To Sa. »
Myrtille se retourne en sursaut,
Tsalmaveth, la chamane, la regarde du haut des escaliers.
Fin et le groupe se dirigent en
silence vers le nord. Il regarde autour de lui, la nuit est sombre mais tout
autour de lui il sent les Gris. Ils sont là, ils sont ensemble. Une seule
personne qui avance d’un même pas, couvrant toute la zone. Ils sont là,
toujours, juste à côté. Il court, ils suivent. Il saute, avance, contourne, il
les voit toujours du coin de l’œil.
Arrivés près du camp, le sabre en
main, d’un seul regard, il hoche la tête. Ils font le tour de l’autre côté
pendant que Fin longe le mur sans bruit accompagné de Sengal, la nuit les
accompagne. Ils sentent sa force autant que la leur et que les ombres qui les
entourent. Ils ne sont plus, ils sont l’ombre, ils sont la nuit, vengeance,
sauvagerie, sang ! Les coups volent, les flèches frémissent, les cris
fusent. Tout s’enchaîne et c’est une danse à quatre qui commence. Partenaires,
enchainement de frappes, l’un tire, l’autre entaille.
Ils sortent, vainqueurs, le cri,
toujours le même, résonne dans leurs entrailles et les fait sourire :
Craignez la nuit ! Car la nuit est nashen ! Et c’est en frères qu’ils
combattent, en frères qu’ils avancent et en frères qu’ils lèvent leurs armes
vers le ciel pour saluer les ombres.
La pluie se met à tomber à verse.
Myrtille regarde la fenêtre, inquiète. Elle regarde Tsalmaveth qui recoud une
veste en silence. La jeune femme lève les yeux de son travail et sourit.
Myrtille baisse les yeux sur le sweat qu’elle vient de finir de réparer et elle
grogne en le posant sur la table.
« Je déteste ça. Je ne suis
pas faite pour…
- Être une femme ? Vous
faites pourtant du bon travail.
Tsalmaveth se lève et viens
observer le travail de Myrtille qui pose son matériel sur la table.
- Je sais. J’ai eue l’éducation
pour. Mais je préfèrerais être avec eux.
- Ils vont revenir, ne t’inquiète
pas.
Elle retourne s’assoir en face de
la jeune grise après avoir posé quelques secondes sa main sur son épaule pour
la rassurer.
- Ce n’est pas ce qui me
préoccupe.
Myrtille ferme la bouche,
surprise de sa franchise.
- Quoi donc ? »
La jeune femme reprend son
travail. Myrtille lève les yeux vers l’étage où est Steven.
Myrtille ferme les yeux. Elle sait
qu’après le M’Zabibu pour aller chercher l’âme de Steven dans le royaume des
Ombres Earon n’en est pas revenu seul. Norae le suivait. Au début Ombre
parasite, elle était près de lui, le troublant, puis elle a fini par prendre
possession de son corps la nuit. Myrtille l’a rencontré comme ça. Aujourd’hui
c’est son Ombre Gardienne. Une âme d’enfant avec une sagesse d’Ombre qu’elle ne
contrôle pas toujours.
« Tsalmaveth, quel est le
rituel pour voir les ombres qui nous entourent ?
- Hum laisse-moi réfléchir…
Au même moment, une petite fille
trempée jusqu’aux os entre en trombe dans la maison.
- Calico ?
Myrtille se lève et l’entoure
dans un plaid. L’enfant aux cheveux noirs se serre contre sa hanche et
l’entoure de ses bras.
- Je savais que tu
reviendrais ! Tebryin ne te trouvait pas mais je savais que tu étais
vivante !
La petite fille fond en larmes.
Myrtille s’agenouille et la prend dans ses bras. Elle caresse tendrement ses
cheveux.
- Je suis là. Allons, calme-toi.
Calico hoche la tête et se recule
un peu. Elle sèche ses larmes et lève les épaules pour faire comme une grande.
Myrtille sourit.
- Je me suis perdue dans les
plaines. Tebryin m’a aidée à revenir mais j’ai pas été là à ton arrivée.
Elle se blottie contre Myrtille.
- Ce n’est rien, j’ai dormit
plusieurs jours…
- Tu m’as manquée !
- Toi aussi, tu m’as
manquée. »
Myrtille lui prend la main, ne
pouvant pas la porter, et la guide jusqu’à sa chaise. L’enfant monte sur ses
genoux. Elle la serre contre elle et la berce un peu. Tebryin… l’Ombre qui est
constamment avec Calico. C’est ce qui lui donne le droit d’entrer ici et d’être
conseillée par Myrtille et accessoirement surveillée par les autres Gris.
La
présence de Tsalmaveth et de Calico lui rappellent alors le rituel des flammes
noires. Les souvenirs ressurgissent si fort qu’elle se retrouve comme
transportée dans son corps du passé et revit le rituel pour la seconde fois.
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