Earon inspire profondément tout
en posant sa tête contre le mur. Il ne la quitte pas des yeux. Il voit maintenant plus clairement les ombres qui
l’entourent. Ces ombres qui la retiennent dans des tourments sans fin. Ces
marques indélébiles de ce qu’elle a vécu là-bas qui l’empêchent inlassablement
de se relever. Il doit profiter de cette porte ouverte pour la guider vers la
sortie. Il ne peut pas la laisser enfermée plus longtemps.
Il serre une dernière fois la
mèche de cheveux dans sa poche avant de se lever. Il s’avance doucement vers
Myrtille pour ne pas la brusquer.
« Viens avec moi. »
Dit-il d’une voix douce, tendant
sa main vers elle.
Elle relève lentement la tête
vers lui en clignant des yeux. Elle n’hésite qu’une seconde avant de poser sa
main glacée dans la sienne. Il resserre avec tendresse ses doigts sur les siens
et l’aide à se lever. Il ne lâche pas sa main, la guidant hors de la maison des
gris à son rythme.
Dehors, la nuit disparait peu à
peu. Le ciel prend une teinte légèrement pâle devant les premiers rayons de
soleil. La Brèche est encore silencieuse. La fraicheur les enlace peu à peu
pendant qu’ils se dirigent vers une maison un peu plus loin. Myrtille se colle
contre lui, il lâche sa main pour passer son bras autour de ses épaules et lui
permettre de nicher son visage au creux de son épaule.
Elle ne dit rien, le laissant la
guider. Il ressent le contraste du calme de la Brèche et de la tempête qui fait
rage dans son esprit. Il la connait trop bien. Il sait qu’elle tente de ne pas
subir ses ombres qui ne la quittent pas. Elle doit vouloir lui montrer qu’elle
ne souffre pas alors que c’est totalement faux. Il le sent à chaque pas qu’elle
loupe, chaque frisson qui la parcoure, chaque inspiration douloureuse. Son
esprit mène une guerre qu’elle ne gagne pas.
Il aurait voulu l’emmener à la
grotte mabouz, là où leurs moments ont été les plus important. Là où leurs
échanges et leurs discussions ont été les plus décisives dans leur histoire.
Son état ne lui permet pourtant pas, il ne peut pas lui faire courir un tel
risque. Il l’emmène donc dans une maison reculée de la Brèche qu’il sait
inhabitée. C’est là-bas qu’il allait se réfugier lorsqu’il ne se sentait pas
capable lui-même de sortir et de combattre un quelconque ennemi croisant sa
route.
Il pousse la porte avec son
épaule et la guide vers un canapé tout au fond de la pièce. Il la lâche
quelques instants, légèrement à contre cœur, pour aller refermer la porte et
vérifier qu’elle est bien vide aux étages. Avant de redescendre, il s’accorde
quelques secondes pour se préparer mentalement à ce qui va suivre. Il lève les
yeux vers le ciel, expire longuement et la rejoint.
Elle s’est assise au fond du
canapé, les bras autour de ses jambes, le menton posé sur ses genoux. Elle fixe
le sol, silencieuse. Dans son regard, il peut voir ses souvenirs qui l’assaillent
avec toute leur violence. Il aurait aimé que ces images, ces souvenirs, soient
des personnes physiques pour les combattre. Il aurait aimé les tailler en
pièces devant ses yeux pour la libérer.
Seulement, ce n’est pas lui qui a
les armes. Il n’a que son amour pour elle et il compte sur ça pour la soutenir.
Il s’approche et vient poser ses mains sur les siennes en posant un genou à
terre pour pouvoir la regarder en face. Il retire son masque et le pose sur le
canapé pour qu’elle le voie vraiment. Un long frisson le parcoure lorsqu’il
plonge son regard dans le sien.
Le monde qui les entoure n’existe
plus. Il n’y a qu’eux. Elle est là, devant lui, entourée d’ombres et de
blessures. Il sent son souffle faire voler quelques mèches de ses cheveux
devant son visage. Il sent ses mains froides sous ses doigts. Il la sent
frissonner chaque fois qu’une ombre passe devant elle. Il voit également ce
regard. Cette expression qu’il connait si bien.
Déterminée. Elle ne se laisse pas
abattre. Elle lutte de toutes ses forces pour rester debout et surtout pour
leur montrer qu’elle ne faiblit pas. Elle subit ses tourments dans son coin.
Elle tente bien de lui cacher mais il remarque que ça l’épuise de plus en plus.
Il ferme les yeux quelques secondes pour reprendre pieds avec la réalité et
surtout pour prier mentalement tout ce qu’il connait.
C’est maintenant ou jamais. Ce
sera sa décision.
« Myrtille… Je sais que tu
as du faire un effort pour nous raconter ce qu’il s’est passé après ta
disparition.
Elle le fixe, semblant attendre
une condamnation de sa part. Fronçant un sourcil, il secoue doucement la tête
avant d’ajouter :
- Ce qu’il s’est passé ne change
rien. Je sais pourtant que tu n’as pas tout dit.
Elle remonte légèrement les
épaules pour se recroqueviller un peu plus. Il serre doucement ses mains pour
lui montrer son soutien. Il inspire profondément.
- Je te vois te replier sur
toi-même et ne plus parler. Tu n’es plus cette femme qui doit avancer seule,
Ni’Luna. Il faut que tu te libère de ces ombres en mettant des mots dessus.
- J’ai raconté…
Il secoue doucement la tête à
nouveau. Elle ferme les yeux quelques secondes en expirant longuement.
- Tu as énoncé des faits. Les
faits ne sont pas tes seules ombres, il y a bien plus que ça.
Elle rouvre les yeux, le regard
toujours sombre mais ne dit rien.
- Tu peux tout me dire, si bien
sûr, je suis le genre de personne à qui tu confierais tes maux...
Ses paroles lui avaient échappé.
La pointe de jalousie qu’il avait ressenti un peu plus tôt envers Sengal était
revenue aussi rapidement qu’il ne tirait ses flèches. Il la sent tressaillir
sous ses mots. Il baisse légèrement la tête devant son regard étonné.
- Sombre idiot…
Il relève la tête en levant les
sourcils. Elle le regarde toujours. Son cœur s’emballe lorsqu’il y lit tout
l’amour qu’elle ressent pour lui. Elle retourne ses mains pour nouer ses doigts
aux siens.
- Je ne…
Elle expire profondément avant de
se forcer à continuer. Il lui laisse le temps de trouver ses mots. Comme les
première fois où elle s’était livrée à lui.
- Je ne parviens pas à te dire
tout ce que je ressens. C’est beaucoup trop difficile pour moi d’envisager que
tu puisses me voir différemment à cause de tout ça. C’est beaucoup trop dur
d’être… faible devant toi. Je suis ton apprentie, je ne peux pas te décevoir…
Earon esquisse un léger sourire
en secouant la tête. Il retrouve bien là les excuses qu’elle s’est toujours
donné. Il connait ce refrain par cœur.
- Tu n’es plus une apprentie. Tu
es une Grise. Tu as fait un serment, le jour du rituel où tu as rejoint le
clan, tu t’en souviens ?
Myrtille frissonne et hoche la
tête. Il poursuit :
- Tu ne peux pas te laisser
enfermer dans tes souvenirs en espérant les combattre seule. Pas quand tu sais
que tu peux compter sur moi… sur tes frères également.
Il grimace légèrement. Elle le
remarque et sourit doucement l’espace de quelques secondes.
- Je ne veux pas te faire
souffrir avec ce que je pourrais dire.
Voilà, il touche au but. La
dernière excuse stupide.
- Tu préfères donc morfler en
silence et me voir souffrir de te laisser t’effondrer seule dans ton coin.
Elle affiche une moue et se mord
la lèvre. Elle est coincée. Elle secoue lentement la tête. Elle ouvre la bouche
puis la referme.
- J’ai…. Je…
Elle ferme les yeux à nouveau,
serrant furtivement des mains dans un frisson. Il inspire profondément et se
décide à faire le premier pas.
- Tu es hantée par la
culpabilité, elle n'est cependant à mon sens qu'une illusion. Je connais bien
ça...
Il baisse son regard semblant
regarder leurs mains mais il n'en est rien, il ne voit que des images du passé.
Il expire un grand coup et relève les yeux vers elle, son regard est différent,
il a le regard d'un homme prêt à affronter une de ses peurs, déterminé. Elle
incline imperceptiblement la tête pour l’encourager.
- Des lunes et des lunes se sont
succédé depuis l'époque dont je vais te parler. A ce moment, je n'habitais pas
la maison des Gris bien que ses portes m'étaient toujours ouvertes. Pour tout
te dire, je n'avais des Gris que ce collier, cette boucle d'oreille, ma
proximité avec les Ombres et un rang. Un rang spécial.
Earon sourit légèrement, ce
n'était pas une mauvaise période de sa vie.
- J'étais le bras droit de mon
Capitaine, enfin... du Capitaine de l'époque, le Ronin, Mushu, puisse la paix
être sur lui où qu'il soit à présent.
Il incline la tête comme pour
adresser une prière. Puis regarde à nouveau Myrtille. Elle se concentre sur ses
paroles, quelques ombres rapides balaient son regard mais elle ne tremble plus.
- A cette époque il y avait un
groupe très étrange qui faisait parler de lui. Des individus qui nous
ressemblaient un peu, dirigés par un homme qu'on appelait le Murmure. To'Nameni
Mushu avait besoin de l'un de ses meilleurs espions pour s'infiltrer dans son
groupe ô combien fermé, et ô combien méfiant. Les rôdeurs murmurants. Il m'a
choisi.
Il montre l'insigne Nashen sur
son épaulette.
- J'ai dû me défaire de ça dans
le cadre de ma mission. Et aussi de ça.
Il tapote la plupart de son
équipement, puis pose un regard sur son masque posé sur le canapé. Myrtille
suit son regard et, devinant la suite, serre avec douceur ses mains.
- J'ai également dû me défaire de
mon masque et même... de mon nom. De mon rang de bras-droit également. Je
n'étais plus rien. Je me suis planqué quelques jours dans la grotte Mabouz,
attendant les instructions de To'Nameni Mushu. Il est arrivé un soir, et il m'a
briefé. Il m'a également donné ce rang spécial dont je te parlais plus tôt :
Sombre-Turne. En gros, neutre Gris.
Elle sourit doucement. Il laisse
passer l’idée qu’il aurait aimé savoir ce qu’elle pense et se concentre sur son
récit.
- La mission était de me trouver
un nouveau nom et de me rendre aux Pâtis afin de m'y installer. Il y avait
là-bas un ancien ami à moi qui avait rendu son insigne afin d'y trouver une
forme de paix. C'était mon contact. Lui seul était au courant de mon identité
et il était tenu au secret. Le lendemain j'ai marché vers les Pâtis, et j'ai
mis sur mon visage le premier masque que j'ai pu trouver, c'était un masque de
mouche je sais pas si tu vois de quoi je parle. Enfin, lorsque je suis arrivé
là-bas, le soleil était en train de se coucher. J'ai trouvé mon contact au Last
Rock, To'Eni Naevahn, un de mes anciens aspirants.
Le regard d'Earon se perd un
instant puis, en un geste rapide, il regarde derrière lui, avant de regarder le
sol. Il se ressaisit et tourne à nouveau son regard vers elle. Son sourcil
gauche légèrement froncé indique que son geste n’est pas passé inaperçu.
- Il m'a présenté à certains
habitants présents ce soir-là, et ne sachant pas comment me nommer en leur
présence, il m'appela Sat. J'avais mon nouveau nom. To'Nameni Mushu m'a rendu
une visite quelques lunes plus tard et m'a donné des noms. Des gens dont je
devais me rapprocher pour infiltrer les rôdeurs murmurants.
Il marque une pause puis reprend.
Elle ne bouge pas, le laissant partager son souvenir. Il sent pourtant sur lui
son regard qui le soutient et ses mains qui ne le lâchent pas. Un pied dans la
réalité, un autre dans sa mémoire, il continue :
- Les jours passaient, je cachais
des rapports sous une pierre non loin de la Brèche pour tenir mon clan informé
de tout ce à quoi j'assistais en dehors des murs. Je me faisais des amis, aux
Pâtis, des amis proches, même au sein de la communauté d'imp... d'inchangés,
qui habitaient là-bas. To'Eni Naevahn et moi-même tenions le Last Rock, Naevahn
s'occupait des clients, et moi, de l'ordre. C'est moi qu'on appelait quand un
habitant de la ville avait des problèmes avec un membre de faction. J'ai même
tiré sur des Nashen, souvent.
Je me suis rapproché de mes
cibles, et j'ai gagné leur confiance. Mes prouesses au combat n'étant pas
passées inaperçues, on m'a proposé de rejoindre les Lames Sanglantes, une sorte
de groupe de guerriers rattaché au clan des Rôdeurs murmurants. J'ai refusé,
insistant sur le fait que je voulais rejoindre les Rôdeurs. Telle était ma
mission. Et je l'ai réussi. Ils m'ont offert un de leur foulard, et un corbeau
apprivoisé pour que l'on s'échange des messages.
Je m'étais trop attaché à ce
peuple des Pâtis, c'était comme ça qu'il s'appelait, Le "Peuple des
Pâtis", une tentative vaine de former une faction prêchant la paix. Il n'y
a pas de paix en ce monde.
Il secoue la tête, il aimerait
s'arrêter là, mais il doit continuer pour elle.
- Cependant plus les jours
passaient, plus le Peuple des Pâtis prenait de la place et ça n'était pas au
goût des Fondateurs. Ils ont commencé à attaquer les Pâtis, faisant de nombreux
blessés. J'ai alors commencé à former des gens au combat. Il fallait se battre
pour la paix.
Je suis passé en fin d'après-midi
pour déposer mon rapport, lorsque la brèche a été attaquée par deux des
meilleurs guerriers fondateurs. J'aurai dû m'éloigner et rester en dehors de ça
mais... Enfin, la brèche est ma maison. Après un combat des plus excitants,
j'ai triomphé d'eux. J'ai bien failli y rester et, pour avoir à nouveau un tel
combat un jour, je leur ai laissé la vie sauve.
Il soupire et poursuit :
- Un soir nous avons repoussé une
attaque avec tellement de succès que le Peuple des Pâtis a estimé que le timing
serait parfait pour une contre-attaque. Tous ceux en état pour combattre ont
pris le chemin du Compas.
Son visage s'assombrit. Myrtille
tressaille, une nouvelle ombre passe dans son regard. Celle-ci, il la connait,
l’inquiétude. Il continue cependant, il le faut, pour eux.
- Nous étions une vingtaine,
clairement en surnombre. Et pourtant, les Fondateur ont bénéficié de...
renforts inattendus. Certains de mes amis sont entrés par les égouts. Un
hochement de tête complice est la dernière chose que j'ai partagée avec eux. Ma
place n'était pas à l'intérieur mais à l'extérieur pour affronter l'élite de
l'armée fondatrice qui protégeait la porte principale.
Son visage devient encore plus
sombre.
- La bataille faisait rage. Je
suis tombé au cœur de la mêlée sur les deux fondateurs que j'avais laissé en
vie la fois d'avant, devant la brèche. Ils décimaient nos rangs comme je
décimais les leurs. Lorsqu'ils m'ont aperçu, ils se sont rués sur moi. Mes amis
ont triomphé du reste pendant que je les affrontais, mais cette fois ils
étaient trois. Je me suis retrouvé au sol derrière un de ces gros morceaux de
métal qu'ils ont devant chez eux, criblé de flèches. Pendant la bataille j'ai
vu quelques-uns de mes amis entrer par la porte, nous avions pris la porte,
nous allions gagner...
Il ferme les yeux. Elle expire
longuement, comme si elle avait retenu sa respiration depuis quelques secondes.
- Je n'ai plus revu aucun des
amis qui sont passés par les égouts, ou par la porte. Je finissais ma route
ici, gisant dans mon sang devant le combat. Au moins j'avais une mort de
guerrier.
Il secoue la tête et se mord la
lèvre du bas.
- "Ils sont entrés !" a
dit l'un de mes adversaires au-dessus de moi. "Allez-y, je vous rejoindrai
après m'être occupée de celui-là." a répondu la femme que j'avais
épargnée. Ils sont partis. "Allez, lève-toi. Tu ne vas pas mourir ici,
fais vite !" m'a-t-elle dit en me portant par l'épaule. Elle m'a menée
jusqu'à chez le toubib pas loin du Compas. Tu sais... "Une vie pour une
vie".
Il marque un long silence. Elle
hoche à peine la tête, emportée dans son récit.
- Lorsque j'étais à peine capable
de marcher je me suis tiré de ce trou à rat sordide et j'ai cherché mes amis.
J'ai appris plus tard que mon ami et frère, Naevahn, s'était suicidé dans les
cages du Compas. Et que bon nombre des autres avaient étés tués par un certain
Frapad. Ceux qui avaient survécu ont attendu qu'ils jettent les corps en pâture
aux molosses pour récupérer les dépouilles et leur rendre un dernier hommage.
Je n'ai assisté à aucune des funérailles. C'était... impossible. On ne pouvait
pas échouer.
Il regarde à nouveau derrière
lui, puis repose son regard sur Myrtille en souriant. Elle l’observe, penchant
légèrement la tête.
- J'ai alors décidé de revenir
ici, à la Brèche. A mon retour, mon Capitaine n'était plus là. Je n'avais plus
rien. Plus aucune famille, plus aucune maison. Plus personne à la Brèche pour
me faire revenir. Alors j'ai erré, longtemps, accompagné par les fantômes de
mes amis morts à qui je parlais toutes les nuits. J'aurai... j'aurai voulu
mourir là-bas, et je l'ai longtemps pensé.
Myrtille frissonne. Elle serre
ses mains quelques secondes puis les relâche. Le laissant terminer son récit.
- Plus tard j'ai récupéré mes
affaires planquées à la grotte, et je suis revenu devant la porte. Un homme du
nom de Sengal m'a abordé. Je lui ai dit que je cherchais le Capitaine des Gris,
il m'a parlé d'un certain Alpharius. Je lui ai dit : "Non, je cherche
Mushu le Ronin.".
De type méfiant et distant,
Sengal s'est transformé d'un coup en frère accueillant et sympatique. Il m'a
fait entrer. Les Fondateurs ont alors attaqué la Brèche et... Sengal et moi, à
nous seuls, nous leur avons foutu une branlée inoubliable.
J'étais à nouveau Earon et je
venais de rencontrer mon Ombre Jumelle. Les fantômes étaient toujours là cela
dit... et comme je n'en ai parlé à personne, ça a fini par s'aggraver. Jusqu'au
soir où Elle est arrivée.
Il a fait d’énormes efforts pour
mettre des mots sur ce qu’il a vécu. Il s’en souvient encore comme si c’était
la veille. Chaque moment, chaque discussion… Et leur fantôme.
Il souhaite qu’elle comprenne
qu’il connait les fantômes. Il doit passer par là pour lui montrer qu’elle
aussi peut le faire. Il ne s’était jamais autant livré auparavant, même s’il
n’en avait pas dit beaucoup, c’était difficile pour lui. Il l’observe en
espérant que ses paroles ont eu l’effet escompté quand il remarque cette ombre
qui habite son regard.
Elle fixe un point derrière lui,
l’air effrayée. Il avait délibérément choisi la fin de son histoire pour
invoquer cette ombre. Il peut maintenant l’aider à la combattre. Il espère que
le processus ne sera pas trop pénible. La peur et la douleur s’inscrivent sur
son visage. Elle respire de plus en plus difficilement, ses doigts sont de plus
en plus crispés. Quelque chose l’empêche de rester lucide. Il caresse ses mains
avec ses pouces pour tenter de provoquer un retour à la réalité.
- Myrtille ?
Elle cligne des yeux. Son regard
passe sur lui quelques secondes avant d’être de nouveau happé par quelque chose
derrière lui. Il jette un coup d’œil, curieux, mais la pièce est vide. Elle
voit son propre fantôme.
- Myrtille, dis-moi ce que tu
vois. Dis-le à voix haute.
Elle secoue la tête, semblant
lutter contre cette vision qui s’approche de plus en plus.
- Nomme ce que tu vois. Décris le
moi.
Elle lâche brusquement ses mains
et tente de reculer un peu plus sur le canapé pour se mettre hors de portée. Il
grogne doucement, se relève et s’assoit près d’elle pour la serrer contre lui.
Elle se débat, essayant de lui faire lâcher son étreinte mais il tient bon.
- Myrtille ! Il ne te fera
rien. Je suis là. Dis-moi ce que tu vois !
- D… Dampen… Il… est toujours là.
Je ne peux pas… Laisse-moi !
Il resserre légèrement son
étreinte en prenant garde à ne pas lui faire mal. Elle se débat toujours,
tentant de le frapper. Il évite les coups en direction de son visage mais
encaisse volontiers ceux qu’elle donne sur son torse.
- Laisse-moi… Je l’ai tué… J’ai
tué mon frère… mon ami… Je ne mérite pas…
Elle prononce ces mots entre
chaque coup qu’elle tente de lui mettre. Il grogne imperceptiblement, serrant
les dents mais ne la lâche pas.
- Décris le moi. Est-ce qu’il te
menace ? Est-ce qu’il t’en veut ?
Elle arrête son poing à quelques
centimètres de lui et tourne très lentement la tête vers la droite pour
regarder dans le vide.
- Il… me regarde. Il ne m’en veut
pas… je crois. Il… il a toujours son air bienveillant… Mais… Mais son cou… Les
marques de mes mains… Il saigne… Mes mains ont… J’ai…
Myrtille éclate en sanglots.
- Je suis désolée… ! Je n’ai
pas pu… Je suis désolée…
Earon ferme les yeux et se
replace correctement pour la serrer contre lui. Il supporte très mal la
situation mais il fait de son mieux pour la soutenir.
- Il ne t’en veut pas Ni’Luna. Il
savait que c’était nécessaire. Tu le sais aussi. Tu lui as permis de mourir en
nashen par la main d’une Grise. Il a fait son devoir. Il n’a pas donné
d’informations. Tu as sauvé son âme…
Ses sanglots se calment au fil de
ses paroles. Elle relève doucement la tête du creux de ses bras pour regarder dans
la pièce. Elle cligne des yeux avant de se redresser.
- Il n’est plus là… »
Earon hoche la tête, le cœur
lourd. Il sait que ce n’est que la première étape vers sa guérison. Il compte
bien être là jusqu’au bout.
Il prend sa main gauche dans la
sienne. Ses doigts sont moins glacés. De l’autre main, il prend une mèche de
ses cheveux qui couvre ses yeux et la fait rouler entre ses doigts avant de la
replacer derrière son oreille. Il ne quitte plus son regard. Les ombres
semblent moins violentes. Il est prêt à les découvrir, celles-ci aussi, pour
les faire disparaitre.
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