vendredi 2 novembre 2018

Chapitre 7


Earon referme la porte de la chambre derrière lui une fois qu’elle s’est endormie. Il se passe une main sur le visage en expirant profondément. Un léger craquement du plancher derrière lui indique que Sengal est dans le couloir. Il se redresse et se retourne en se forçant à retirer sa main de la poignée de porte.

« Du repos te ferais du bien mon frère.
Earon se masse la nuque en détournant légèrement les yeux.
- Je… Je pensais me nourrir un peu avant d’aller dormir. »

Sengal l’observe de longues secondes avant d’incliner la tête. Il n’insiste pas plus. Il se retourne et entre dans sa propre chambre qu’il partage avec Zeven. Earon s’appuis le dos contre la porte en soupirant légèrement. Ses frères connaissaient ses habitudes, dont celles de très peu dormir et de très peu manger. Il savait que cela ne les empêcherait jamais de s’inquiéter pour lui lorsqu’il les suivait.
Pourtant, à ce moment précis, il ne sait pas vraiment pourquoi il ne parvenait pas à trouver le sommeil. Depuis qu’ils avaient sauvés Myrtille, quelque chose le laissait en alerte constante. Il ne s’endormait qu’une fois qu’il était véritablement épuisé. Il n’en parlait pas à ses frères pour ne pas leur donner encore plus envie de le surveiller. Ils en faisaient déjà bien assez.

Il expire longuement avant de descendre au rez-de-chaussée. Il se force à prendre quelque chose à manger et s’assoit devant la table qui leur sert d’atelier. Il installe les outils et le bois devant lui pour préparer quelques flèches. Son regard est attiré par le carquois de Myrtille posé au sol à sa droite qui contient sa seule flèche restante couleur bleu-sombre. Il fronce légèrement un sourcil et se décide pour lui en fabriquer des nouvelles. Elle aura ainsi ce qu’il lui faut lorsqu’elle retournera chasser une fois qu’elle ira mieux.

Pendant qu’il effectue les gestes qu’il connait par cœur pour tailler les pointes de flèches, sont esprit se détend, passant d’un souvenir à l’autre.

Il commence tout juste à faire nuit. Le vent souffle légèrement du sud. Les grandes chaleurs sont passées, donnant un peu de répit. Il la voit menacer cette femme. Incapable d’agir, il voit la lame sous sa gorge, les bras écartés de la victime. Elle ne se débat pas, elle ne refuse pas ni ne tente de la dissuader. Norae baisse sa lame et décide de trouver une autre proie plus « marrante ».
Il recroise cette femme plus tard. Elle demande à Norae si le sang qu’elle a trouvé lui a plu. Evidemment que non. Elle propose alors de la suivre. Contre toute attente elle tend son poignet. Norae semble surprise et désemparée. Elle refuse, mais la jeune-femme en face affirme qu’elle préfère ça plutôt que de la voir blesser quelqu’un. Il est forcé d’avouer qu’elle n’a pas tords.
Fixant ses yeux, il comprend qu’elle est déterminée. Elle sait ce qu’elle fait. Le couteau à la main, elle attend qu’il réagisse. Indécis, il reste immobile. Elle hoche légèrement la tête et d’un coup sec, un coup habile, elle tranche sa veine du poignet sans une seule réaction visible sur son visage. Déterminée, vraiment. Elle tend son poignet vers le visage masqué de l’homme. En quelques mots, elle lui répète qu’elle suit son instinct et que, après tout, ce n’est qu’un peu de sang.
Du sang pur.
Fixant son regard gris, il prend le poignet rouge, soulève son masque et porte à ses lèvres le liquide vermeil. Le pouvoir de cette femme. Sa condamnation.

Norae pose alors ses lèvres sur ce sang.
Il ouvre les yeux et lève la tête vers elle. Ses cheveux violets attachés en queue de cheval sont légèrement décoiffés. Elle est visiblement inquiète et l’observe après avoir noué un morceau de tissu autour de la plaie.

« Tout va bien ? »

Il regarde autour de lui, la nuit est loin d’être finie et pourtant il est là. Sans le savoir, cette femme vient de le libérer. Il se lève et l’observe. Le visage fin, le regard encore jeune et pourtant rempli de dureté, cette femme semble avoir son caractère. Ses lèvres minces s’écartent en un léger sourire lorsqu’il hoche la tête. Il a soudain envie de la suivre alors qu’il pourrait profiter de sa première nuit depuis plusieurs lunes.
Il est loin de se douter que cette femme est sur le point de changer sa vie.

Il sourit légèrement au souvenir de leur première rencontre avant de se replonger dans son activité.

Myrtille marmonne et tourne les talons après qu’elle lui a, encore une fois, pris la tête pour des bêtises. Il grogne doucement avant de lever les yeux au ciel. Il la regarde s’éloigner en vérifiant bien qu’elle se dirige vers la Brèche. Il retourne dans la grotte et se dirige tout au fond pour se laisser tomber dans un canapé poussiéreux.
Il frotte son visage puis pioche une allumette dans le fond de son sac à dos afin d’allumer les bougies disposées sur les étagères autour de lui.

Sous cette douce lumière, il sort son carnet et y écrit quelques mots pour clarifier ses idées :

« Une épreuve.
Par toutes les Ombres de la création divine :
Cette femme est une épreuve.
Putain, elle m’énerve, l’apprentie qu’elle est me fascine, la femme
qu’elle est me fou les nerfs !!
Dha tout puissant, accordez moi la force
mentale de supporter ses réactions bizarres
de femme… S’il vous plait quoi… »

Son sourire s’élargit. Il ne se souvient même plus la raison de cette dispute. Il se souvient seulement qu’après avoir écrit ses mots, il est allé la retrouver assis sur un toit de la Brèche. Elle s’isolait toujours quand elle avait besoin de réfléchir. Elle se confiait peu, tout comme lui. Il devait éternellement gratter sa carapace pour obtenir des explications sur ses réactions.

Il était parvenu petit à petit à obtenir spontanément des confessions de sa part. Ils avaient passés de plus en plus de temps à discuter. Ces nombreux moments partagés les avaient forcément rapprochés et ce lien est devenu plus puissant un soir de nuit sans lune.

Depuis son retour, Myrtille n’avait pas beaucoup parlé. Il manque de se couper le doigt lorsque son outil ripe sur le métal. Dans ses divagations, il vient de mettre le doigt sur une partie du problème. Il pose ses outils et glisse son regard vers l’unique flèche bleu-sombre à sa droite. Il la sort du carquois pour la faire tourner entre ses mains. Il y fait danser la lumière sur les symboles dessinés en blanc le long du bois tout en murmurant :

« Qu’est-ce que tu caches, Ni’Luna ? »

Myrtille se réveille lorsqu’elle entend du bruit dans la chambre. Elle se redresse sur son coude libre pour observer son Capitaine Alpharius et son frère Zeven allonger Earon sur le lit à sa gauche. Il est plongé dans un sommeil si profond qu’il ne bouge même pas. Ses doigts agrippent une flèche bleu-sombre qu’il tient contre lui comme un talisman. Alpharius quitte la pièce après avoir incliné la tête vers Myrtille.

Zeven s’assoit à côté d’elle. Il l’observe un moment en silence avant de murmurer :

« On l’a trouvé endormit sur l’atelier en rentrant. On préfère le voir ici que ronflant sous les outils tranchants. Il y a eu assez de sang dans cette maison.
Elle frissonne doucement et pose rapidement son regard sur Earon avant de revenir sur Zeven.
- Il ne dort pas beaucoup ces jours-ci j’imagine.
- Pas depuis un moment.
Zeven observe la pièce avant d’ajouter.
- Je ne sais pas comment il a vécu ta disparition mais depuis ton retour il tombe plus rapidement d’épuisement. C’est peut-être une bonne chose.
- Hmm…
Elle garde le silence. Après un petit moment, Zeven tapote maladroitement sa jambe avant de se lever.
- Je vais aller me reposer. Wala ni’A To’Nam’Sa. »

Il joint ses deux mains devant lui et incline la tête. Elle répète le geste en retour sans prononcer un mot, la gorge nouée. Elle le regarde quitter la pièce avant de se lever à son tour lentement.

Elle prend le temps de s’habiller cette fois pour ne pas être à bout de forces une fois qu’elle aura réussi à enfiler sa veste malgré son attelle au bras gauche. Elle tente surtout de faire le moins de bruit possible pour qu’il puisse vraiment se reposer. Une fois en tenue, elle attrape son masque posé sur les caisses à gauche de la porte et quitte la chambre a pas de loups.

Les faibles rayons de lumières qui passent à travers les nombreux rideaux sombres accrochés aux fenêtres lui indiquent que le soleil sera couché d’ici quelques heures seulement. Elle décide de sortir à nouveau pour profiter de la journée.

Arrivée au feu de camp, où un énorme tas de bois attend la nuit pour être embrasé, Myrtille s’assoit sur un tronc d’arbre, le dos posé contre le mur d’une maison. Certains nashen s’affairent encore dans leur tâche quotidienne tout autour d’elle. Laissant son regard divaguer, elle savoure ce sentiment d’être enfin rentrée chez elle. Elle se sent bien mieux que ce matin. Sa main droite caresse doucement l’insigne gris en forme de lune accrochée à sa veste. Dans son esprit lui revient le souvenir d’un après-midi avec ses sœurs.

Elles étaient sans cesse sur les routes, passant de poste en poste, fuyant les individus qui les recherchaient à cause de ses bêtises d’enfants et d’adolescente. Sa naïveté et son affront continuel leur ont souvent causé plus de tort qu’elle ne l’aurait voulu. Cet après-midi-là, elles avaient monté un camp rudimentaire en bordure de route. Myrtille finissait de lire un livre que Lissana lui avait donné, elle a levé la tête pour observer Santana rassembler le bois en une pyramide afin qu’il brûle lentement. Elle se revoit comme si c’était hier lancer la discussion, sa sœur soupirer, la regarder, sourire et s’assoir pour lui répondre en allumant le feu.

« Santy, ça veut dire quoi être Nashen ?
- Allons Myrtille, n’avons-nous pas eu cette conversation plus d’un millier de fois ?
- Vous m’avez toujours dis qu’il fallait que je le sache moi-même, seule…
La jeune Myrtille entoure ses jambes de ses bras et fixe les petites flammes qui lèchent le bois.
- Oui. Et qu’as-tu trouvé ?
- Que c’est l’insigne qui fait de nous un Nashen.
Elle entend un soupire dans son dos, tourne la tête et regarde Lissana sortir de la tente avec des couvertures.
- Ce n’est pas que l’insigne, Mymy. Ce n’est que du fer, il y a…
- Toute une symbolique derrière. Merci Liss.
Termine Santana en prenant une couverture. Lissana entoure les épaules de Myrtille d’une autre couverture avant de s’assoir avec elles.
- Une symbolique…
Elle ferme les yeux et se concentre :
- Etre Nashen c’est faire partie de la nation qui nous accueille. C’est vivre pour elle avant tout… C’est respecter l’insigne et ce qu’elle nous offre.
La jeune Myrtille soupire et dessine une lune au sol du doigt. Elle culpabilise de leur avoir toujours fait perdre l’insigne. Lissana frotte sa main dans le dos de sa petite sœur.
- Allons Myrtille, nous trouverons notre place un jour. Ne t’en fait pas. Nous serons Nashen. Nous sommes turnes, éveillées par Laku et nous aurons notre place quelque part… »

Myrtille sourit sous son masque. Ses sœurs avaient toujours cru en elle et en leur destin. Elle serre le tronc de sa main droite, rentrant ses ongles dans le bois quand elle pense à elles et à leur fin. Elle se mord la lèvre, tentant d’effacer ces mauvais souvenirs de son esprit.

Elle secoue la tête, se lève et se dirige dans le temple. C’était une ancienne petite église aux murs de pierre. La plupart de ses vitraux avaient étés brisés et il ne restait qu’une seule porte à moitié debout sur ses gonds à l’entrée. A l’intérieur, le sol avait été recouvert de terre pour que l’herbe puisse y pousser à nouveau. Les bancs qui tenaient encore droits restaient disposés de part et d’autre de l’allée centrale, certains troncs avaient été rajoutés pour permettre à plus de monde de s’assoir. Au bout de cette allée un très vieux livre est posé sur un présentoir à la portée de tous. Derrière ce présentoir ont été placées deux étagères en bois installées à la place de l’autel détruit sur lesquelles les nashen déposent des offrandes diverses pour les déesses.
Par endroit, de petits arbres avaient commencé à pousser. De grands pots en pierre peint avec des symboles nashen avaient été posés pour décorer la grande salle. Des sculptures de bois auquel pendaient de petits cailloux accrochés sur des cordes y étaient enfoncées. Il y avait également de très grands rochers installés et peint de nombreux symboles nashen en hommage aux déesses.
Des murs de taules avaient été rajoutés pour cloisonner deux salles en plus à gauche et au fond du bâtiment. Sur la cloison du fond, un rideau au centre permettait d’y accéder. On entrait dans la salle réservée aux chamanes lorsqu’elles préparaient des rituels ou écoutaient les nashen qui avaient besoin d’être guidés. Lorsqu’elles n’y étaient pas, on pouvait s’y installer pour méditer sans que l’odeur des herbes ne gêne qui que ce soit. Un emplacement pour un petit feu de camp avait été spécialement disposé au creux d’un large trou dans les dalles de béton. Quatre fauteuils en cuir montés sur des tonneaux et maintenus par des tiges de bois étaient placés de part et d’autre de la pièce. Il y avait également une table en bois et quelques tapis.
Un rideau à gauche permettait d’accéder à la partie gauche du bâtiment qui avait été aménagée en infirmerie. De nombreux lits et matelas à même le sol avaient été installés pour permettre aux chamanes et guérisseurs de soigner rapidement les nombreux blessés après les combats.

Myrtille prie en entrant pour remercier les déesses de leur attention puis se dirige vers le fond du temple. Elle n’oublie pas la révérence devant livre de l’Eveil qui recueille l’histoire de leurs déesses. Elle soulève le rideau en silence et s’installe face au feu. Elle jette une branche de sauge ainsi qu’une petite feuille d’herbe sombre dans les flammes, la fumée opaque empli la pièce. Elle reste ainsi jusqu’à la nuit en méditation pour se purifier.

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