Earon referme la porte de la
chambre derrière lui une fois qu’elle s’est endormie. Il se passe une main sur
le visage en expirant profondément. Un léger craquement du plancher derrière
lui indique que Sengal est dans le couloir. Il se redresse et se retourne en se
forçant à retirer sa main de la poignée de porte.
« Du repos te ferais du bien
mon frère.
Earon se masse la nuque en
détournant légèrement les yeux.
- Je… Je pensais me nourrir un
peu avant d’aller dormir. »
Sengal l’observe de longues
secondes avant d’incliner la tête. Il n’insiste pas plus. Il se retourne et
entre dans sa propre chambre qu’il partage avec Zeven. Earon s’appuis le dos
contre la porte en soupirant légèrement. Ses frères connaissaient ses habitudes,
dont celles de très peu dormir et de très peu manger. Il savait que cela ne les
empêcherait jamais de s’inquiéter pour lui lorsqu’il les suivait.
Pourtant, à ce moment précis, il
ne sait pas vraiment pourquoi il ne parvenait pas à trouver le sommeil. Depuis
qu’ils avaient sauvés Myrtille, quelque chose le laissait en alerte constante.
Il ne s’endormait qu’une fois qu’il était véritablement épuisé. Il n’en parlait
pas à ses frères pour ne pas leur donner encore plus envie de le surveiller. Ils
en faisaient déjà bien assez.
Il expire longuement avant de
descendre au rez-de-chaussée. Il se force à prendre quelque chose à manger et
s’assoit devant la table qui leur sert d’atelier. Il installe les outils et le
bois devant lui pour préparer quelques flèches. Son regard est attiré par le
carquois de Myrtille posé au sol à sa droite qui contient sa seule flèche
restante couleur bleu-sombre. Il fronce légèrement un sourcil et se décide pour
lui en fabriquer des nouvelles. Elle aura ainsi ce qu’il lui faut lorsqu’elle
retournera chasser une fois qu’elle ira mieux.
Pendant qu’il effectue les gestes
qu’il connait par cœur pour tailler les pointes de flèches, sont esprit se
détend, passant d’un souvenir à l’autre.
Il commence tout juste à faire nuit. Le vent souffle légèrement du sud.
Les grandes chaleurs sont passées, donnant un peu de répit. Il la voit menacer
cette femme. Incapable d’agir, il voit la lame sous sa gorge, les bras écartés
de la victime. Elle ne se débat pas, elle ne refuse pas ni ne tente de la dissuader.
Norae baisse sa lame et décide de trouver une autre proie plus
« marrante ».
Il recroise cette femme plus tard. Elle demande à Norae si le sang
qu’elle a trouvé lui a plu. Evidemment que non. Elle propose alors de la
suivre. Contre toute attente elle tend son poignet. Norae semble surprise et
désemparée. Elle refuse, mais la jeune-femme en face affirme qu’elle préfère ça
plutôt que de la voir blesser quelqu’un. Il est forcé d’avouer qu’elle n’a pas
tords.
Fixant ses yeux, il comprend qu’elle est déterminée. Elle sait ce
qu’elle fait. Le couteau à la main, elle attend qu’il réagisse. Indécis, il
reste immobile. Elle hoche légèrement la tête et d’un coup sec, un coup habile,
elle tranche sa veine du poignet sans une seule réaction visible sur son visage.
Déterminée, vraiment. Elle tend son poignet vers le visage masqué de l’homme.
En quelques mots, elle lui répète qu’elle suit son instinct et que, après tout,
ce n’est qu’un peu de sang.
Du sang pur.
Fixant son regard gris, il prend le poignet rouge, soulève son masque
et porte à ses lèvres le liquide vermeil. Le pouvoir de cette femme. Sa
condamnation.
Norae pose alors ses lèvres sur ce sang.
Il ouvre les yeux et lève la tête vers elle. Ses cheveux violets
attachés en queue de cheval sont légèrement décoiffés. Elle est visiblement
inquiète et l’observe après avoir noué un morceau de tissu autour de la plaie.
« Tout va bien ? »
Il regarde autour de lui, la nuit est loin d’être finie et pourtant il
est là. Sans le savoir, cette femme vient de le libérer. Il se lève et
l’observe. Le visage fin, le regard encore jeune et pourtant rempli de dureté,
cette femme semble avoir son caractère. Ses lèvres minces s’écartent en un
léger sourire lorsqu’il hoche la tête. Il a soudain envie de la suivre alors
qu’il pourrait profiter de sa première nuit depuis plusieurs lunes.
Il est loin de se douter que cette femme est sur le point de changer sa
vie.
Il sourit légèrement au souvenir
de leur première rencontre avant de se replonger dans son activité.
Myrtille marmonne et tourne les talons après qu’elle lui a, encore une
fois, pris la tête pour des bêtises. Il grogne doucement avant de lever les
yeux au ciel. Il la regarde s’éloigner en vérifiant bien qu’elle se dirige vers
la Brèche. Il retourne dans la grotte et se dirige tout au fond pour se laisser
tomber dans un canapé poussiéreux.
Il frotte son visage puis pioche une allumette dans le fond de son sac
à dos afin d’allumer les bougies disposées sur les étagères autour de lui.
Sous cette douce lumière, il sort son carnet et y écrit quelques mots
pour clarifier ses idées :
« Une épreuve.
Par toutes les Ombres de la création divine :
Cette femme est une épreuve.
Putain, elle m’énerve, l’apprentie qu’elle est me fascine, la femme
qu’elle est me fou les nerfs !!
Dha tout puissant, accordez moi la force
mentale de supporter ses réactions bizarres
de femme… S’il vous plait quoi… »
Son sourire s’élargit. Il ne se
souvient même plus la raison de cette dispute. Il se souvient seulement
qu’après avoir écrit ses mots, il est allé la retrouver assis sur un toit de la
Brèche. Elle s’isolait toujours quand elle avait besoin de réfléchir. Elle se
confiait peu, tout comme lui. Il devait éternellement gratter sa carapace pour
obtenir des explications sur ses réactions.
Il était parvenu petit à petit à
obtenir spontanément des confessions de sa part. Ils avaient passés de plus en
plus de temps à discuter. Ces nombreux moments partagés les avaient forcément
rapprochés et ce lien est devenu plus puissant un soir de nuit sans lune.
Depuis son retour, Myrtille
n’avait pas beaucoup parlé. Il manque de se couper le doigt lorsque son outil
ripe sur le métal. Dans ses divagations, il vient de mettre le doigt sur une
partie du problème. Il pose ses outils et glisse son regard vers l’unique
flèche bleu-sombre à sa droite. Il la sort du carquois pour la faire tourner
entre ses mains. Il y fait danser la lumière sur les symboles dessinés en blanc
le long du bois tout en murmurant :
« Qu’est-ce que tu caches,
Ni’Luna ? »
Myrtille se réveille lorsqu’elle
entend du bruit dans la chambre. Elle se redresse sur son coude libre pour
observer son Capitaine Alpharius et son frère Zeven allonger Earon sur le lit à
sa gauche. Il est plongé dans un sommeil si profond qu’il ne bouge même pas.
Ses doigts agrippent une flèche bleu-sombre qu’il tient contre lui comme un
talisman. Alpharius quitte la pièce après avoir incliné la tête vers Myrtille.
Zeven s’assoit à côté d’elle. Il
l’observe un moment en silence avant de murmurer :
« On l’a trouvé endormit sur
l’atelier en rentrant. On préfère le voir ici que ronflant sous les outils
tranchants. Il y a eu assez de sang dans cette maison.
Elle frissonne doucement et pose
rapidement son regard sur Earon avant de revenir sur Zeven.
- Il ne dort pas beaucoup ces jours-ci
j’imagine.
- Pas depuis un moment.
Zeven observe la pièce avant
d’ajouter.
- Je ne sais pas comment il a
vécu ta disparition mais depuis ton retour il tombe plus rapidement
d’épuisement. C’est peut-être une bonne chose.
- Hmm…
Elle garde le silence. Après un
petit moment, Zeven tapote maladroitement sa jambe avant de se lever.
- Je vais aller me reposer. Wala
ni’A To’Nam’Sa. »
Il joint ses deux mains devant
lui et incline la tête. Elle répète le geste en retour sans prononcer un mot,
la gorge nouée. Elle le regarde quitter la pièce avant de se lever à son tour
lentement.
Elle prend le temps de s’habiller
cette fois pour ne pas être à bout de forces une fois qu’elle aura réussi à
enfiler sa veste malgré son attelle au bras gauche. Elle tente surtout de faire
le moins de bruit possible pour qu’il puisse vraiment se reposer. Une fois en
tenue, elle attrape son masque posé sur les caisses à gauche de la porte et
quitte la chambre a pas de loups.
Les faibles rayons de lumières
qui passent à travers les nombreux rideaux sombres accrochés aux fenêtres lui
indiquent que le soleil sera couché d’ici quelques heures seulement. Elle
décide de sortir à nouveau pour profiter de la journée.
Arrivée au feu de camp, où un
énorme tas de bois attend la nuit pour être embrasé, Myrtille s’assoit sur un
tronc d’arbre, le dos posé contre le mur d’une maison. Certains nashen
s’affairent encore dans leur tâche quotidienne tout autour d’elle. Laissant son
regard divaguer, elle savoure ce sentiment d’être enfin rentrée chez elle. Elle
se sent bien mieux que ce matin. Sa main droite caresse doucement l’insigne
gris en forme de lune accrochée à sa veste. Dans son esprit lui revient le
souvenir d’un après-midi avec ses sœurs.
Elles étaient sans cesse sur les routes, passant de poste en poste,
fuyant les individus qui les recherchaient à cause de ses bêtises d’enfants et
d’adolescente. Sa naïveté et son affront continuel leur ont souvent causé plus
de tort qu’elle ne l’aurait voulu. Cet après-midi-là, elles avaient monté un
camp rudimentaire en bordure de route. Myrtille finissait de lire un livre que
Lissana lui avait donné, elle a levé la tête pour observer Santana rassembler
le bois en une pyramide afin qu’il brûle lentement. Elle se revoit comme si
c’était hier lancer la discussion, sa sœur soupirer, la regarder, sourire et
s’assoir pour lui répondre en allumant le feu.
« Santy, ça veut dire quoi être Nashen ?
- Allons Myrtille, n’avons-nous pas eu cette conversation plus d’un
millier de fois ?
- Vous m’avez toujours dis qu’il fallait que je le sache moi-même,
seule…
La jeune Myrtille entoure ses jambes de ses bras et fixe les petites
flammes qui lèchent le bois.
- Oui. Et qu’as-tu trouvé ?
- Que c’est l’insigne qui fait de nous un Nashen.
Elle entend un soupire dans son dos, tourne la tête et regarde Lissana
sortir de la tente avec des couvertures.
- Ce n’est pas que l’insigne, Mymy. Ce n’est que du fer, il y a…
- Toute une symbolique derrière. Merci Liss.
Termine Santana en prenant une couverture. Lissana entoure les épaules
de Myrtille d’une autre couverture avant de s’assoir avec elles.
- Une symbolique…
Elle ferme les yeux et se concentre :
- Etre Nashen c’est faire partie de la nation qui nous accueille. C’est
vivre pour elle avant tout… C’est respecter l’insigne et ce qu’elle nous offre.
La jeune Myrtille soupire et dessine une lune au sol du doigt. Elle culpabilise
de leur avoir toujours fait perdre l’insigne. Lissana frotte sa main dans le
dos de sa petite sœur.
- Allons Myrtille, nous trouverons notre place un jour. Ne t’en fait
pas. Nous serons Nashen. Nous sommes turnes, éveillées par Laku et nous aurons
notre place quelque part… »
Myrtille sourit sous son masque.
Ses sœurs avaient toujours cru en elle et en leur destin. Elle serre le tronc
de sa main droite, rentrant ses ongles dans le bois quand elle pense à elles et
à leur fin. Elle se mord la lèvre, tentant d’effacer ces mauvais souvenirs de
son esprit.
Elle secoue la tête, se lève et
se dirige dans le temple. C’était une ancienne petite église aux murs de pierre.
La plupart de ses vitraux avaient étés brisés et il ne restait qu’une seule
porte à moitié debout sur ses gonds à l’entrée. A l’intérieur, le sol avait été
recouvert de terre pour que l’herbe puisse y pousser à nouveau. Les bancs qui
tenaient encore droits restaient disposés de part et d’autre de l’allée
centrale, certains troncs avaient été rajoutés pour permettre à plus de monde
de s’assoir. Au bout de cette allée un très vieux livre est posé sur un
présentoir à la portée de tous. Derrière ce présentoir ont été placées deux
étagères en bois installées à la place de l’autel détruit sur lesquelles les
nashen déposent des offrandes diverses pour les déesses.
Par endroit, de petits arbres
avaient commencé à pousser. De grands pots en pierre peint avec des symboles
nashen avaient été posés pour décorer la grande salle. Des sculptures de bois auquel
pendaient de petits cailloux accrochés sur des cordes y étaient enfoncées. Il y
avait également de très grands rochers installés et peint de nombreux symboles
nashen en hommage aux déesses.
Des murs de taules avaient été
rajoutés pour cloisonner deux salles en plus à gauche et au fond du bâtiment. Sur
la cloison du fond, un rideau au centre permettait d’y accéder. On entrait dans
la salle réservée aux chamanes lorsqu’elles préparaient des rituels ou
écoutaient les nashen qui avaient besoin d’être guidés. Lorsqu’elles n’y
étaient pas, on pouvait s’y installer pour méditer sans que l’odeur des herbes
ne gêne qui que ce soit. Un emplacement pour un petit feu de camp avait été
spécialement disposé au creux d’un large trou dans les dalles de béton. Quatre
fauteuils en cuir montés sur des tonneaux et maintenus par des tiges de bois
étaient placés de part et d’autre de la pièce. Il y avait également une table
en bois et quelques tapis.
Un rideau à gauche permettait d’accéder
à la partie gauche du bâtiment qui avait été aménagée en infirmerie. De
nombreux lits et matelas à même le sol avaient été installés pour permettre aux
chamanes et guérisseurs de soigner rapidement les nombreux blessés après les
combats.
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